Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 160.djvu/149

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

force à lour pays natal et condamnés sans crime à de vrais travaux forcés, maux dont Mme Beacher-Stowe a fait la peinture si vraie et si énouvante dans la Case de l’Oncle Tom et préparer un meilleur sort aux générations futures[1]. C’est la pensée qui inspira la proposition de loi, faite par M. H. Passy et quelques collègues à la Chambre des députés et qui tendait à déclarer libres tous ceux qui naîtraient de parens esclaves à partir d’une certaine date (10 février 1838) et donnait aux esclaves la faculté de se racheter à un prix fixé par des arbitres nommés d’avance. M. Passy, dans la séance du 15 février, justifia ce système d’émancipation progressive par les trois argumens que voici. Il soutint d abord que la suppression de la traite, l’amélioration du sort des esclaves et les droits conférés aux noirs affranchis, loin de paralyser le travail, n’avaient fait que le rendre plus actif et fructueux. Ensuite il montra que l’expérience faite par l’Angleterre, de l’abolition graduelle de l’esclavage dans ses colonies, n’avait donné lieu à aucun trouble. Il fallait craindre, en revanche, que l’émancipation complète des noirs des colonies anglaises n’eût un contre-coup dans la population esclave des nôtres. Il proposait d’ailleurs d’allouer une indemnité raisonnable aux propriétaires des mères, dont les enfaiis naîtraient libres.

Le ministre de la Marine, M. de Rosamel, combattit la proposition comme étant « inopportune, inique et inhumaine, » mais il promit, au nom du gouvernement, de présenter un plan d’émancipation, quand les hommes et les choses y seraient suffisamment préparés. La proposition Passy fut soutenue par M. Delaborde, mais rencontra deux genres d’adversaires. Les uns, comme MM. Mauguin et Berryer. la combattirent comme dangereuse, avant qu’on eût moralisé les noirs ; d’autres, tels que Lamartine, la trouvèrent insuffisante. « L’occasion, dit ce dernier, ne fut jamais plus belle pour étouffer l’esclavage, non seulement dans nos colonies, mais dans l’univers tout entier. Vous saisissez à la fois l’esclavage par les deux extrémités de l’Asie et de l’Afrique. Par Alger, vous allez l’éteindre dans un immense littoral. La Russie, sur la Mer-Noire le repousse en Circassie et Géorgie. En Égypte, vous le supprimerez, le jour où vous voudrez. Les Anglais l’ont supprimé sur l’Océan. L’Espagne, en perdant l’Amérique du Sud, le laisse tomber et s’éteindre. Il ne reste que nous. Dites un mot,

  1. Il y avait alors dans nos colonies une population de 250 000 esclaves, dont 466 000 aptes au travail, de 16 à 40 ans.