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même ; quiconque achetait un esclave pour le revendre, en d’autres termes, tout spéculateur était déféré aux tribunaux. En outre, comme, au partage d’une succession, la mère esclave pouvait se trouver séparée de ses enfans, une loi des Hovas ordonnait qu’une femme esclave et sa progéniture seraient attribuées au même héritier. Ainsi, placés sous la double tutelle du maître intéressé à les bien nourrir et de l’État chargé de les protéger contre les exactions du maître, les esclaves jouissaient d’une situation analogue à celle du client antique et l’avaient vu améliorer par l’influence des missionnaires chrétiens[1]. À l’époque de l’occupation par la France, il y avait en Empire 300 000 esclaves, au Betsileo, 100 000, et dans les autres provinces soumises aux Hovas : 100 000, total 500 000, dont 1/4 seulement étaient valides et employés à l’agriculture ou comme porteurs.

Tandis que la traite des noirs était supprimée par la reine des Hovas, elle était rétablie par des colons français de la Réunion. Ceux-ci, ne pouvant plus importer pour la culture de leurs plantations des « coolies » hindous, par suite de l’arrêt du vice-roi des Indes anglaises interdisant leur émigration (1886), ne rougirent pas de faire acheter à Madagascar et à Zanzibar des esclaves noirs. Ce trafic, il est vrai, signalé par les missionnaires, fut de soite réprimé sévèrement par ordre de M. Plourens, alors ministre des Affaires étrangères (1887). Le dernier fait de traite qui soit parvenu à notre connaissance prouve que, si ce mal est opiniâtre, du moins la justice française se montre inflexible. Vingt jeunes noirs ayant été trouvés le 4 mai 1899 à bord du boûtre Fath el Kheir, battant pavillon français, le capitaine et le subrécargue du boûtre ont été déférés à la cour de la Réunion, qui les a condamnés le 2 août, le premier à trois ans de prison et le second à deux ans.

Alors les planteurs de la Réunion se sont retournés vers les « coolies » et, sur leurs instances, M. Barbey, alors ministre de la Marine, a fait signer par le président Grévy un décret assurant la protection aux travailleurs hindous, afin d’obtenir du vice-roi des Indes la levée de la susdite interdiction (27 août 1887)[2].

La Réunion n’est pas la seule de nos colonies, qui ait eu be-

  1. Jean Carol, Au pays rouge, 1898.
  2. Ce décret n’ayant pas été assez efficace, un nouveau projet de décret, sur le service et le fonctionnement de l’immigration à l’île de la Réunion, est à l’étude au ministère des Colonies.