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tion, des noirs pauvres qui deviennent partie intégrante de la maison (domestici ou clientes). Mais, d’après les missionnaires, on y pratiquerait encore, sous Fœil trop fermé de nos administrateurs, la traite des noirs et spécialement des jeunes négresses. De jeunes filles, sortant des écoles, à qui l’on a appris à blanchir, coudre, tenir une plume et parler la langue française, seraient encore l’objet d’un trafic odieux. Les colonies voisines, par exemple, celle du Cameroun, envoient des intermédiaires acheter une à une ces jeunes femmes à moitié éduquées et, lorsqu’elles ont quitté la région dont elles sont originaires, elles sont rassemblées par troupeaux de vingt à trente, payées, embarquées et expédiées. On aurait payé successivement par tête de femme exportée un droit de 21 fr. 25, puis de 20 francs et actuellement ce droit serait de 100 francs[1]. Si ces faits sont exacts, — et jusqu’ici ils n’ont pas été démentis, — n’est-il pas révoltant de penser que la culture européenne et l’instruction chrétienne reçue par ces pauvres filles n’auront servi qu’à augmenter leur valeur marchande, et n’auront été qu’un appât de plus pour la cupidité des acheteurs de chair humaine ?

Pour terminer la revue de nos possessions continentales d’Afrique, il nous reste à parler d’Obock et du protectorat de la côte des Somalis. Or ce protectorat comprend le port de Tadjourah par lequel se faisait, il y a quelques années, une exportation assez considérable d’esclaves provenant du pays de Gallas, à destination de l’Arabie, et une importation d’armes et munitions achetées par l’Abyssinie chrétienne. Jusqu’en 1889, il se tenait, sur le territoire du sultan de Loïtah, de Tadjourah et de Djibouti, des marchés où l’on vendait de 19 à 20 000 esclaves par an. Et, le golfe de Tadjourah se trouvant sur une grande route d’exportation vers l’Arabie, il est probable qu’elle s’est continuée clandestinement jusqu’en ces dernières années.

Quant à Madagascar, la condition des esclaves y était, de longue date, semblable à celle des captifs de case dont nous venons de parler. La traite avait été abolie. Les esclaves avaient peu à travailler et leur nourriture était à peu près la même que celle de leurs maîtres. Ils étaient rarement punis, et il était interdit aux patrons de les frapper avec un bâton ferré[2]. Le propriétaire seul avait le droit de vendre son esclave et devait le vendre lui-

  1. Discours de l’abbé Lemire à la Chambre des députés, 11 décembre 1899.
  2. Ida Pfeitter, Voyage à Madagascar, Paris, 1858.