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monde. Outre qu’il est jésuite, le P. Lalouère apprend ce qu’il en coûte de vouloir se dérober à cette humiliation. Mais où l’on ne voit que l’orgueil, ou même la mauvaise foi de Pascal, je reconnais son humilité superbe. Pas plus qu’au doute, il ne laisse point de place en lui à la contradiction. Il ne méprise point la géométrie en lui-même, mais dans les géomètres : car ils ne sont que géomètres. Et de petite géométrie. Jusqu’à la fin de sa vie, il veut au contraire porter l’esprit géométrique au comble de sa force. Il doit à un effort incroyable de la géométrie pure les fondemens mêmes du calcul de l’infini. Il ne méprise donc point la géométrie : il l’abaisse. Que sert d’abaisser ce qui n’est pas très haut ? — Il honore toujours Fermat ; et s’il en veut à Descartes, c’est en partie que la mathématique de Descartes n’exerce pas assez l’esprit. La grandeur de l’esprit lui est chère : mais il la mesure.

La solitude est le lieu de l’orgueil et de l’humilité. Elle y est également propre. La grande âme humilie son orgueil en secret : c’est une armure qu’on porte dans le monde et dont on se délivre. Mais on met de l’orgueil même à dépouiller l’orgueil. C’est pourquoi les quatre murs d’une chambre où l’on est seul sont l’espace qu’il faut à cette discipline. On ne s’arrête pas à la première peau ; et nulle pudeur n’empêche de tout ôter. Et enfin l’on est plutôt un grand saint que bon connaisseur de soi-même. Les enfans et les simples pourraient dire qu’ils ne craignent pas la bonté, ni celle d’autrui, ni la leur. Mais Pascal se dira toujours : « Je crains ma bonté même, parce que je la connais. »

La vue de cette chambre, où Pascal est retiré, émeut le fond de mon âme. Pascal fait son lit, et se sert lui-même : cette idée me plaît, qu’en ce que les autres pourraient faire pour lui, il les supplée, lui que nul homme au monde n’eût alors suppléé en ce qu’il a fait. C’est où l’on connaît la vraie grandeur. Mais il est bien plus grand par l’amour où sa passion se consacre, que par où il force son cœur à s’oublier.

Il me semble qu’il s’estime avec douleur et se désaime, à mesure qu’il aime les hommes et les mésestime. La charité, où il exerce son cœur, est une recherche passionnée de l’amour unique. Il est donc vrai, et l’on éprouve à toute heure, quand la première en est venue, ce sentiment si hardi et si triste que l’amour passionné de Dieu implique un amour des hommes, qui puisse aller même à l’entier sacrifice, — mais dédaigneux de soi, et plus encore d’eux.