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au côté de son maître. Familiarité sublime que celle-là, dans l’agonie, dans le sang, dans les angoisses humaines où la mort d’un Dieu est toute trempée. Familiarité dans ce qu’il y a de plus auguste et de plus fort, où la passion s’est faite si grave qu’elle tombe, de tout le poids infini dont elle s’est chargée, sur le cœur de la mort, et d’une mort divine. Dans une telle âme, une telle douleur est seule éternellement présente, en son mystère. Et enfin, elle est seule enviable.

Il ne faut pas moins pour tirer de soi un homme si fort au-dessus des autres hommes. Voilà les délices où toutes les autres ensemble ne se comparent point, car peut-être elles s’y anéantissent.

C’est à les goûter seules que Pascal se destine. Il dirige tout le feu de son cœur sur ce foyer. Il est brûlant, même quand il paraît de glace. On ne l’a point connu ni approché, sans l’aimer ou le haïr. Tiède en rien, il n’a pas trouvé de tièdes. Son père a pleuré de joie, dès l’origine, à la vue du fils qu’il s’était donné. Pascal a mis toutes les femmes de sa famille en sainteté. Il effraye M. de Sacy, et ne fait point peur à sa servante ; mais, au contraire, superbe malgré tout, et superbe caché, ce qui le fait deux fois l’être, il est simple avec elle ; il peut être humble avec cette bonne femme, sans penser à son humilité, idée qui la ruine. C’est pourquoi Pascal vit seul, et se retire dans une chambre, avec un mendiant et de pauvres gens. Il ne veut pas même d’une cellule dans un cloître, ou dans un logis de famille. Il sait bien qu’il ne peut toucher à la vie, sans l’embrasser d’une étreinte puissante ; et qu’enfin vivre pour un homme de sa sorte, c’est toujours dominer. Il prévient sa sœur et son père du danger de l’aimer trop ; et plus il use de termes froids, plus je le sens qui se défend du trop d’amour lui-même. Ou même est-il trop grand pour s’en défendre : il prend le flot de cette passion, il le précipite et l’accroît ; mais il le détourne sur ce qui n’est plus rien de propre au moi. Il parle contre les attachemens du monde, non pas en homme qui se dépouille, mais en avare secret, qui thésaurise un trésor incalculable, d’une espèce inconnue. L’ascète, qui ne l’est que selon la chair, a beau tomber de fatigue et de peine : il a l’expression de la joie ; il est tranquille, comme tout ce qui se dépassionne ; et s’il chante les louanges de sa victoire, les paroles sont en vain les plus chaudes : elles sortent d’une bouche froide. Il est bien nécessaire qu’il en soit ainsi : un corps sanc-