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ricatures coulées en bronze ; une parodie qui se flatte d’être éternelle. Image de ce temps, en vérité.

— Sans doute, ils viennent s’encourager à la mort dans la contemplation d’un si grand passé qui n’est plus…

— Vous voulez rire, dit-il. Ils ne sont pas envieux de la mort, ceux qui vivent. La curiosité de la mort glace toute vie. Surtout une vie si pauvre. Ces gens-là veulent, d’abord, bien dîner. Ils font un tour à Port-Royal pour gagner de l’appétit.

Je m’excusai d’avoir raillé.

— Je suis venu voir Pascal aux lieux où sa grande âme avait trouvé un horizon qu’elle ne passait pas.

— N’en doutons point : elle l’avait choisi. Elle s’y était fixée dans la vue de ce qui demeure, et pour échapper à ce qui s’en va. On voudrait savoir comment tout ce sable se dissipe : on sait bien que ce n’est que du sable. La vie est un triste rêve…

— Et de la sorte, on aime le coin de terre où l’on rêve à son gré.

— Dites qu’on s’en empare, et qu’on se l’asservit. Nous sommes tous les mêmes : il nous faut des esclaves ; c’est là ce que nous appelons l’amour. Quand tout paraît soumis au changement, les lieux, pour montrer que ce n’est aussi qu’une apparence, ne changent pas. Et si les hommes avaient un goût plus vif des choses éternelles, ils se garderaient de toucher à celles où s’attache une mémoire unique, qui sera toujours seule, là où elle est, et qu’on ne remplacera pas. »

Nous vîmes un bel arbre, isolé, qui porte le nom de Pascal : le noyer où Pascal vint s’asseoir. Et si ce n’est celui de Pascal, il faut que ce le soit ; car s’il ne l’est, que m’importe cet arbre ? Mais je crois y voir cet homme, terrible en pensée, accabler de mépris sa pensée même, et chercher pour son repos l’aide qui n’est pas refusée aux feuilles naïves. Car elles naissent sans douleur au temps marqué, et tombent sans angoisse à l’automne… M. de Séipse, alors, me parla de la tristesse de Pascal : c’est un effet de son ardeur et de sa gravité.

« Plusieurs, qui l’admirent le plus, et en font presque métier, distinguent entre divers objets qu’il offre à leur admiration. Ils l’approuvent pour sa conclusion et pour sa foi, mais ils n’en acceptent pas la marche, ni les prémisses contre la raison. Ou bien ils le louent d’être si hardi à douter, et font bon marché de ce qu’il croit, au prix de son doute. Mais ni Pascal ne croit, ni il ne doute, comme ils se l’imaginent, par parties séparées. Le