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mélancolie parlait plus haut dans le silence, de cette voix si chère aux cœurs tristes de vivre, qui leur rend plus douce l’amertume, en retour de la saveur un peu amère qu’elle mêle à toute douceur. Nous allions, au milieu des ruines qui n’ont même plus l’air du désordre.

« Je perds cœur, dit M. de Séipse, quand je vois la mort même vêtue de neuf, et la destruction singer la vie. À coup sûr, il eût mieux valu cacher tous les débris de Port-Royal, les portraits et les manuscrits des solitaires dans un caveau, creusé sous le sol, que de leur élever une église. On ratisse aujourd’hui les allées de la mort, pour faire honneur aux promeneurs ; et l’on commet des jardiniers aux décombres. Vous savez le luxe affreux des cimetières. J’aime les ruines, où l’insolence de la nature s’ajoute : l’une et les autres se nient. Pascal n’eût pas voulu de cette gloire posthume. Il suffisait qu’on vît Port-Royal en poussière et ce que c’est que la nature livrée à elle-même. Qu’est-ce bien que les restes d’un grand esprit ? Il n’est tout entier qu’en lui-même, — je dis en nous. Il faut des tombeaux fastueux aux rois, aux poètes de cour, aux philosophes rentés, aux chevaux promus consuls par Caligula, voire à Nicole et aux gens de lettres. Mais il est des hommes qui répugnent à ce faste. Pour eux, tous les tombeaux sont trop petits. Ils sont la honte de ce qu’ils prétendent contenir ; et font un grand triomphe à ce qu’ils contiennent : car ce n’est rien.

— De la boue et des vers, dis-je. Et non même plus cela, au bout d’un peu de temps, quand la centième herbe a séché sur le tertre, qui n’est séparée de la première que par cent autres qui sèchent cent fois. »

M. de Séipse s’informa si les étrangers visitent Port-Royal ; et il apprit volontiers, du gardien, que les étrangers ne viennent point ici. « Le bonheur est rare, fis-je. Ils ne peuvent comprendre Pascal. Comment sauraient-ils jamais que cet homme, s’il a pensé plus gravement que tous les autres en son temps, a toujours ajouté la beauté de la forme à celle de la pensée ? ils n’y peuvent pas être sensibles ; ils verront la force de la pensée, et lui feront tort de l’art.

— Les étrangers, dites-vous ? repartit M. de Séipse. Cependant, les gens de lettres y viennent, depuis peu ; et ils infligent à Pascal l’encens public de leur admiration. Grâce au ciel, ce n’est encore que tous les cent ans ; et vous voyez ce qu’ils y laissent : des ca-