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Le malheur est que M. Prévost n’a pas su les relier et leur faire prendre par le voisinage cette valeur qu’ils n’avaient pas isolément. C’est ce qui rend souvent si pénible la lecture de ce livre : c’est l’incapacité où a été l’auteur de mêler les intrigues dont il se compose, de fondre les épisodes. Il n’arrive pas à faire manœuvrer les personnages ensemble. Le récit s’éparpille, s’émiette, les divers incidens sont à peine cousus par un fil ténu et lâche et qui à chaque instant se brise. On s’arrête, on ne sait plus où on en est, on revient en arrière. L’auteur a fait tout ce qui était en son pouvoir afin de parer à cet inconvénient : il s’y est employé avec beaucoup de bonne volonté, et vraiment il n’y a pas de sa faute. Soupçonnant que nous pourrions bien avoir oublié, chemin faisant, des incidens qui n’avaient rien pour frapper notre imagination ou des personnages dont la physionomie ne s’imposait pas à l’attention, il saisit chaque occasion de les rappeler ; il résume les faits ; il intercale dans le récit des discours, des conversations, des fragmens de journaux ou de correspondances, des analyses de romans similaires qui sont là pour fixer nos idées et nous aider à comprendre. Il fait à travers son propre ouvrage le métier de cicérone. Il met des poteaux indicateurs. En dépit de ces efforts méritoires, mais vains, nous avons la même surprise chaque fois que brusquement nous sautons d’un épisode dans un autre. Nous étions avec Frédérique, nous voici avec Tinka ; nous étions avec Léa, nous voici avec Geneviève. « Tiens ! celle-là, que j’avais complètement oubliée ! Au fait, qu’est-ce donc qui lui était arrivé ? » Au moment où nous nous y attendions le moins, nous nous heurtons à un fragment de l’histoire de Duyvecke. « Bah ! elle n’est donc pas finie, l’histoire de Duyvecke ! » Sans crier gare, Daisy Craggs surgit. « Craggs ! Attendez donc, nous avons déjà quelqu’un de ce nom-là : Edith Craggs. Est-ce la même famille ?... » On ne saurait croire combien le plaisir est gâté par cette impression de décousu. Un romancier, — était-ce Eugène Sue, Emile Gaboriau ou Emile Richebourg ? — avait devant lui, enfilées dans une corde, des poupées représentant les bonshommes du livre qu’il était en train d’écrire ; et il les renversait à mesure, comme au jeu de massacre, afin de ne pas s’exposer à faire reparaître dans son récit tel dont il eût déjà conté la mort. Il semble que M. Prévost procède de même. Il fait avancer successivement chacun de ses personnages ; puis il lui règle son compte. Au surplus, que valent ces personnages ? c’est cela qui signifie, bien plutôt que la manière plus ou moins gauche, dont l’auteur s’y est pris pour nous les présenter. Vivent-ils ? Que ce soit d’ailleurs d’une vie copiée sur la réalité, ou d’une existence tout