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préjugés particularistes ainsi que les théories de Taine sur l’influence toute-puissante du milieu, de la race, ne se justifient guère par l’exemple de ce peintre né en pays germanique, imprégné de goût franco-bourguignon et grand amateur de voyages. Car outre ses ambassades en Espagne et en Portugal, le maître de l’Adoration accomplit cinq ou six missions, ou « pèlerinages » lointains, dont l’itinéraire et le but devaient rester secrets par ordre du duc Philippe le Bon lui-même. Ne sommes-nous pas autorisé à dire que l’art de Van Eyck est tout imprégné déjà de cosmopolitisme ? Tous les échos du monde chrétien seront recueillis par le peintre de génie qui va décorer à Gand d’un chef-d’œuvre sans égal une étroite chapelle de Saint-Jean, — aujourd’hui Saint-Bavon.

Pour fondre en un accord saisissant les élémens de beauté qu’il a rencontrés autour de lui, et ceux qui germent spontanément dans son âme, Jean Van Eyck a besoin d’un instrument nouveau, d’une technique nouvelle. Poussé par une nécessité supérieure il crée pour la peinture un organe inconnu jusqu’alors. Sa découverte est comme une fonction inévitable de son génie. Grâce à son invention de la peinture à l’huile il assure à son rêve la splendeur et la durée.

Si l’organisation psychique de Jean Van Eyck se dévoile à nous d’une manière quelque peu nette, si nous pouvons surprendre sa croyance et ses instincts, n’est-ce pas au travers de la substance colorée qu’il employa avec une puissance sans égale ? Quelle est cette croyance ? Naïvement, profondément religieuse. Quels sont ces instincts ? Très naturalistes et poussés vers la richesse positive. Or voyez comme la facture de Van Eyck, issue de l’idéal, mais s’imposant à son tour au génie qui l’a créée, nous renseigne amplement sur les tendances morales du grand artiste. Avec ses procédés minutieux, Jean peignait forcément des figures calmes, tranquilles, conçues en des poses d’éternité. Son œuvre est une des fleurs les plus exquises de cette période de l’art que l’on est convenu d’appeler statique et que caractérise l’immobilité grave et mystique des personnages. D’autre part, la précision extrême, la lenteur du pinceau permettent à l’artiste de traduire d’une façon textuelle la figure humaine. Le positivisme de la race s’accuse dans la patience énergique et inlassable avec laquelle le peintre reproduit ses modèles. La vie ainsi transcrite devient aussi ardente que la prière dans l’œuvre de Van Eyck, mais elle