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statues s’étaient évidemment appliqués à découvrir des mélanges siccatifs et résistans pour éviter que leur riche coloriage ne se détériorât à l’air. Il y a tout lieu de supposer — et l’on doit s’étonner que cette observation si naturelle ait échappé jusqu’à présent aux érudits — que Van Eyck se servit pour l’exécution de ses tableaux de la matière siccative employée par les enlumineurs de pierres, en la mélangeant aux couleurs et aux huiles dans une mesure nouvelle et avec une délicatesse extrême. Il fournissait de la sorte à l’art pictural des ressources d’une étendue, d’une souplesse sans précédent, et créait véritablement la peinture à l’huile telle que nous la connaissons encore de nos jours.

On nous excusera d’insister sur le problème de cette découverte après tout matérielle. Mais que l’on envisage l’art de Van Eyck dans ses profondeurs religieuses, dans ses réalités humaines, que l’on essaye d’en pénétrer le mystère avec l’intuition du poète ou la raison du philosophe, toujours on rencontre sur sa route cette grande énigme d’une invention technique dont la solution permit à l’artiste de revêtir son idéal et sa foi d’un vêtement éblouissant.

Récapitulons, dans l’ordre historique, les influences qui se réunissent dans l’art de Van Eyck. Comme son frère aîné Hubert, Jean est né à Maesyck. Il a connu les œuvres des primitifs de Cologne et de Maestricht. Sa peinture ne conserve ni leur immatérialité, ni leur impersonnalité de style. Les maîtres de Cologne employaient, avons-nous vu, une certaine couleur à l’huile. Leur procédé devait être bien imparfait, car ils n’obtenaient malgré tout que des tons plats, des harmonies sans souplesse qui ne pouvaient satisfaire le futur auteur de l’Adoration de l’Agneau. Jean van Eyck quitta son milieu natal. D’abord peintre de Jean de Bavière, puis de Philippe le Bon, duc de Bourgogne, nous le rencontrons successivement en Hollande, en France, en Portugal, en Espagne, en Galice, en Andalousie. De nos jours certains artistes redoutent les voyages qui, prétendent-ils, peuvent nuire au développement de leur originalité. Van Eyck aurait eu le temps dix fois de perdre la sienne en route.

Sa résidence habituelle fut Bruges. Nous avons vu comment cette dernière ville avait pu agir sur son génie naissant par la séduction expressive de ses miniatures et l’éclat fastueux de ses statues. Mais ce que nous voyons encore mieux, c’est que les