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connu, il ne crut pas déroger en peignant des statues. Des documens établissent en effet d’une façon positive qu’il reçut une gratification pour avoir peint et doré six figures de pierre qui ornaient la façade de l’hôtel de ville de Bruges. On peut donc affirmer que Van Eyck vécut en relations très étroites, en camarade, en confrère, avec les enlumineurs, les vitriers et les sculpteurs de son temps. Nous allons examiner dans quelle mesure le maître de l’Adoration de l’Agneau s’inspira de leur pratique pour fortifier son génie de peintre.

Bruges, au XVe et même déjà au XVIe siècle, était célèbre pour l’habileté de ses miniaturistes. La bibliothèque royale de Bruxelles, connue sous le nom de Bibliothèque de Bourgogne, renferme de merveilleux livres historiés, enluminés, coloriés, qui proviennent des « librairies, » — pour employer le mot ancien, — d’une série de seigneurs fastueux : Robert de Béthune, Louis de Mâle, Philippe le Hardi, Philippe le Bon, Charles le Téméraire. J’ai eu la joie de pouvoir consulter à plusieurs reprises ces manuscrits et d’étudier attentivement leurs miniatures gracieuses et précises qui tiennent de l’émail, du bijou, de l’aquarelle par l’adorable juxtaposition de l’or et de la couleur enfermés dans de fines cernures. Je me suis convaincu que ses charmans tableaux peuvent seuls expliquer les origines de la peinture flamande.

Ces origines ne sont pas autochtones. Pour les découvrir, il faut interroger l’art français du XIIIe siècle, sous l’égide duquel devait du reste grandir tout l’art européen. J’insiste sur cette assimilation de la beauté française par la Flandre médiévale, parce que jamais, à ma connaissance, les critiques belges, mes compatriotes, ne l’ont avouée, ni soupçonnée dans toute son étendue. Bruges s’était formé de bonne heure aux goûts et aux manières de la France. À l’époque héroïque des Flandres, au moment où les communes commencèrent une lutte implacable contre leur suzerain Philippe le Bel, on parlait autant français à Bruges qu’à présent ; les actes du comte Guy étaient rédigés en français ; nos jeunes nobles et bourgeois faisaient leurs études à Paris ; des mariages nombreux unissaient les familles des deux races ; la littérature flamande, tout en s’appliquant à nationaliser la langue, se contentait presque exclusivement d’adapter les chefs-d’œuvre des poètes de France. Bruges recevait un grand nombre d’artistes français ; les bijoux portés à la cour comtale étaient commandés aux joailliers parisiens. Le comté de Flandre, placé en grande