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soutien cette base merveilleuse, la religion, vous n’auriez jamais eu en moi le chancelier que j’aurai été. Procurez-moi un successeur ayant les mêmes principes, et je m’en vais tout de suite[1]… »

De semblables déclarations, Bismarck les a renouvelées souvent ; et celles-ci sont de 1870, mais, dès son entrée dans la vie publique, il avait tenu le même langage ; et celles-ci sont faites dans l’intimité, mais il en avait fait d’aussi catégoriques, et de plus catégoriques encore, à la tribune du Landtag prussien : on sait que sa conception même de l’État en était tout entière inspirée, et que, comme son christianisme était luthérien et prussien, l’État prussien, selon lui, devait être chrétien et évangélique : évangélique, c’est-à-dire que la législation y devait être conforme à la volonté de Dieu exprimée par les Evangiles : « A mon sens, les mots : Par la grâce de Dieu, que les souverains chrétiens joignent à leur nom, ne sont pas une vaine formule. J’y vois la promesse de leur part de porter, conformément à la volonté de Dieu, le sceptre qu’ils ont reçu de lui. Mais je ne puis considérer comme étant l’expression de la volonté divine que les Evangiles, et je me crois permis de ne considérer comme État chrétien que celui qui se propose de réaliser les doctrines du christianisme. » C’est là, et là seulement, que, pour Bismarck, résident tout ensemble la force et le droit de tout État, cette espèce de droit supérieur et de force supérieure qui est dans l’union de la force et du droit. « Si nous ôtons aux États ce fondement religieux, ils ne deviennent plus qu’un agrégat fortuit de droits, une sorte de rempart pour la guerre de tous contre tous… La législation n’ira plus se régénérer à la source de l’éternelle vérité, mais dépendra de notions d’humanité vagues et variables, telles qu’elles germent dans l’esprit de ceux qui gouvernent. Je ne sais pas comment, en de pareils États, on peut contester le droit de se faire valoir, si elles en ont la force, à des idées telles par exemple que celles des communistes sur la moralité de la propriété, ou sur la haute valeur morale du vol, en tant que moyen de reconquérir les droits naturels de l’homme, car ces idées aussi sont tenues par leurs promoteurs pour humaines et sont à leurs yeux comme la propre floraison de l’humanité[2]. »

  1. Maurice Busch, Le comte de Bismarck et sa suite, p. 142-143, mercredi 28 septembre.
  2. « Für mich sind die Worte : Von Gottes Gnaden, welche christliche Herrscher ihrem Namen beifügen, kein leerer Schall, sondern ich sehe darin das Bekenntniss, dass die Fürsten das Szepfer, was ihnen Gott verliehen hat, nach Gottes