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avaient encore quelque vogue. On se soutiendra qu’ils plaçaient l’unique source des richesses dans l’agriculture, ou, comme disait Quesnay, dans ces travaux où la nature unit ses efforts à ceux de l’homme, et concevaient mal le rôle parallèle de l’industrie et du commerce. Un des précurseurs de cette école, Sully, avait écrit que « le labourage et le pâturage sont les mamelles de l’Etat. » À ce compte, l’exode des champs eût été considéré comme le prélude d’un appauvrissement général, d’une catastrophe, car la terre ne pouvait donner le maximum de son fruit que travaillée par un maximum d’ouvriers.

Nous rappellerons sans commentaire ces conceptions si étranges, que les faits ont si complètement démenties et éliminées, et dont nous nous expliquons mal aujourd’hui la faveur.

Cependant nous n’échappons aux inquiétudes de jadis que pour tomber dans d’autres craintes, fort sérieuses aussi. Nous nous demandons si à cette heure, dans le bouleversement en voie de s’accomplir, il n’y a pas des avantages précieux échangés d’un cœur trop vite résigné, contre d’autres douteux et précaires. Nous nous surprenons à regretter, à la façon des vieillards, les tempi passait, l’heureuse époque, peu éloignée d’ailleurs, où les campagnes nourrissaient une population satisfaite, encouragée, et où les villes ne montraient encore aucune velléité d’absorber les campagnes. Nous craignons que plus d’un des déserteurs des champs n’aille chercher au loin des biens qui étaient peut-être à portée, et ne lâche la proie pour l’ombre.

Bref, la crise agraire dont nous voyons se dérouler les phases si rapides et si dramatiques, nous laisse perplexes. Nous sommes comme assiégés par des craintes qu’il n’est pas en notre pouvoir de dissiper, et que nous allons résumer aussi brièvement que possible.


On a bientôt fait de décrier l’état de cultivateur, de s’en séparer en le maudissant, de se joindre au concert de reproches et de récriminations dont il est l’objet, mais il faut être juste dans ce procès où il entre parfois plus de mauvaise humeur que d’équité et de véritable sens pratique.

La campagne si vilipendée a une belle page dans l’histoire de l’humanité. Elle a été une grande école de travail et de civilisation. A côté d’êtres incultes, mal dégrossis, sans besoins intellectuels, sortes de survivans des primitifs des anciens âges, et dont