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citadins, ce qu’il y circulait d’argent, ce que l’on y demandait de bras, était prodigieux. La puissance d’attrait des centres urbains devenait par là même de plus en plus irrésistible.

Mais ce n’est pas tout. En parlant de la mévente du blé, nous n’avons considéré dans cette baisse que le préjudice porté aux intérêts agricoles. La question cependant n’est pas toute là. Le malheur des uns fait souvent le bonheur des autres, et c’est ce qui arriva dans ce cas. Du prix du blé dépend celui du pain et la baisse énorme du premier devait amener celle du second. Nous convenons bien que le prix du pain n’a pas toujours correspondu au cours des céréales et de la farine, attendu qu’il s’est formé des syndicats de boulangers pour obtenir la farine à bon marché et vendre le pain cher, et que les consommateurs ne possédaient pas toujours, de leur côté, des sociétés coopératives propres à maintenir sa force à la loi de l’offre et de la demande. Il n’empêche qu’en dépit de la dépréciation de l’argent, qui, toutes choses égales d’ailleurs, aurait suffi pour provoquer une hausse du pain, celui-ci s’est payé moins cher à notre époque que dans les périodes qui nous ont précédés.

Or, le pain, qu’est-ce, sinon la base de l’alimentation, surtout dans les classes populaires, et le facteur principal du prix de la vie aux différentes époques ? Aussi pouvons-nous affirmer que, si les villes ont poussé avec la rapidité extraordinaire que nous savons, elles le doivent en partie aux énormes approvisionnemens de blé qui ont, non seulement écarté toute possibilité de famine, mais encore facilité parmi les citadins l’existence de ceux qui ont de la peine à joindre les deux bouts.

Tout donc conspirait à provoquer l’énorme émigration des champs vers les centres populeux. Mais il est certaines régions que les causes perturbatrices de l’agriculture affectent moins que d’autres, et qui semblent échapper dans une certaine mesure à la crise actuelle.

Ce sont d’abord, d’une manière générale, les territoires qui présentent soit une fertilité exceptionnelle, soit la main-d’œuvre en abondance et à des prix relativement modérés. Nous distinguerons dans cette catégorie très spécialement les pays de vignobles, les terres à pâturages ou à culture maraîchère, et il convient d’y ajouter les forêts. Ces diverses exploitations se présentent dans des conditions sui generis, et, si l’on ne peut prétendre que le marasme qui pèse sur les autres ne les touche point,