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Le citadin, dans la majorité des cas, n’est pas exposé à des accidens aussi nombreux ; son bonheur ne dépend pas du temps qu’il fait ; il a moins à débattre avec son baromètre et la météorologie ; il vit mieux.

Faut-il poursuivre le parallèle ? Les gens de la ville se sentent l’objet de certains égards, de certaines attentions, ce qui n’est guère le cas pour ceux de la campagne. C’est qu’une fois débarrassés du vêtement de travail, on les prendrait aisément pour des « messieurs » et des « dames. » Ils ont de quoi causer, car ils voient du monde et savent beaucoup de choses. On ne les tourne pas en ridicule, tandis que les quolibets de plus ou moins bon goût pleuvent sur le rustaud, que désigne souvent sa blouse d’ouvrier, sur ce personnage mal dégrossi, gauche, emprunté, toujours embarrassé de sa personne. Il n’est pas de pays qui n’ait ici son petit vocabulaire plaisant ou grotesque ; les Allemands se délectent du Land Pomeranze, et les Anglais du country cousin. Or, rien ne pèse sur un homme comme le sentiment de son infériorité sociale, comme cette impression qu’il fait partie d’une caste inférieure ou subordonnée.

Un autre point qui entre également en compte, ce sont les facilités que présentent les villes au point de vue de l’éducation de la jeunesse. Les écoles y abondent, de bonnes écoles, bien outillées de maîtres, de livres et de moyens de démonstration, et préparant aux carrières les plus diverses. A la campagne, il faut se contenter de l’école primaire, tout au plus de l’école secondaire ou de quelque chose d’approchant. Que d’enfans, point mal doués, qui eussent voulu s’instruire et embrasser une profession à leur choix, mais à qui cela n’a pas été possible, uniquement parce qu’ils ont eu la malchance de naître dans un district rural.

Tels sont les avantages que les habitans des campagnes discernent dans le séjour des villes. Sans doute, la séduction n’est pas la même pour tous, et il en est qui échappent au vertige. Ils ont aperçu des taches sombres et inquiétantes dans le tableau que nous venons d’esquisser, et quelquefois même ils ont reculé d’épouvante. Le bruit des cités les assourdit et les fait soupirer après la solitude tranquille de la maison de ferme. D’ailleurs, ils aiment le terroir, et les mécomptes qu’ils y trouvent ne les empêchent pas d’en apprécier les avantages à leur juste valeur. Ces natures-là, pourtant, sont l’exception. Ce sont les sages, les esprits