Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 159.djvu/828

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

produisant dans les circonstances actuelles ne pourrait pas être interprétée comme un acte libre de sa part. Ceux des habitans de l’Emyrne qui apportent quelque sincérité dans la profession qu’ils font de la foi protestante trouveraient en cet événement un nouveau motif d’hostilité ; quant aux autres, il importe peu de savoir quelle est leur étiquette religieuse. Vous avez raison de faire observer que jusqu’à l’époque de la conquête, les mots d’Anglais et de protestant d’une part, ceux de Français et de catholique de l’autre, étaient plus ou moins synonymes, mais du jour où nous avons pris possession de l’île, il est devenu de notre devoir le plus étroit de pratiquer à Madagascar les principes qui sont le fond du droit public français, à savoir la plus stricte neutralité religieuse. Si l’on a pu dire avec quelque raison, en ce qui concerne nos établissemens d’Orient, que l’anticléricalisme n’est pas un article d’exportation, on peut proclamer en toute certitude que, dans la situation faite à Madagascar par les querelles confessionnelles, la laïcité est pour nous une obligation politique. »

Ces gages répétés de neutralité donnés, tant à Paris qu’à Tananarive, aux confessions rivales, ne parvenaient pas à rétablir la paix : ni les protestans ne pouvaient se résoudre à perdre leur situation prépondérante de jadis dans les affaires publiques, ni les jésuites se résigner à ne pas profiter de la domination française pour imposer leur foi aux indigènes. Les uns et les autres ne voulant pas se plier spontanément au jeu de la vraie liberté, force fut d’élever le ton à leur égard. À maintes reprises, notamment en décembre 1896 et en février 1897, le ministre avait dû rappeler que « le gouvernement ne saurait admettre que les querelles des missionnaires pussent être une occasion de troubles dans la colonie, et blâmerait les autorités locales qui hésiteraient à réprimer immédiatement les fauteurs de désordre, à quelque confession qu’ils appartinssent[1]. » Les rapports périodiques du général Gallieni continuaient cependant à être une longue plainte sur la gêne et l’encombrement que lui causaient, ainsi qu’à ses subordonnés, ces incessantes disputes et ces perpétuelles dénonciations réciproques, reposant pour la plupart sur des récits très contestables d’indigènes ; à Paris même, le ministre était assailli de réclamations des sociétés centrales de missions, qui multipliaient les brochures et les mémoires pour intéresser l’opinion

  1. 21 décembre 1896.