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d’action française s’étaient groupés autour des catholiques, et l’on peut dire qu’aux yeux des indigènes, chacune des deux religions s’identifiait avec l’une des deux nations[1].

Cette situation imposait d’infinis ménagemens à l’action des représentans officiels de la France : leur mandat ne pouvait pas consistera satisfaire le zèle, toujours un peu encombrant et, dans la circonstance, quelque peu rancunier, des jésuites ; ils ne devaient pas non plus tolérer que les signes extérieurs et les réalités de la force sociale demeurassent aux Anglais, et que, sous couleur de religion, une influence politique, jadis prépondérante, pût s’exercer contre nous, rallier les mécontentemens indigènes, et continuer à faire prévaloir son enseignement et ses doctrines. Certes, l’état-major européen de ces missions protestantes, la plupart même des missionnaires présens dans l’île se montraient d’une correction parfaite : dès mars 1896, par une démarche officielle auprès du ministre des Colonies, la London Missionary Society et la Friends Foreign Mission Association des quakers avaient fait acte d’allégeance à l’égard de la France, s’offrant et à recruter un personnel français et à enseigner notre langue dans leurs écoles. Mais comment amener les Malgaches à croire à la solidité et à la stabilité de la domination française, si ces puissantes associations conservaient, avec les plus beaux édifices de Tananarive, la direction des écoles, la collation des grades médicaux ? comment escompter les bienfaits de l’enseignement promis, « alors que les maîtres seraient les premiers à avoir besoin d’apprendre le français[2] ? » comment surtout attendre du personnel indigène formé par les missionnaires anglais, soit avant, soit après la conquête, une tenue, une correction, une loyauté égales à celles des Européens[3] ? Il y avait là des impossibilités irréductibles ; la religion n’avait rien à y voir, mais la politique, beaucoup.

Sans doute, une solution d’apparence simple et facile se présentait à l’esprit : si les protestans français s’étaient soudain substitués

  1. Le rôle de la London Missionary Society notamment était si peu limité aux questions confessionnelles qu’en 1885, après la première expédition française, elle avait offert aux Malgaches de leur faire les avances nécessaires au paiement de l’indemnité de guerre et de se charger de tous leurs services de perception d’impôts pour récupérer son argent. Une énergique intervention de la France avait été nécessaire pour empêcher cette combinaison d’aboutir.
  2. Rapport de M. Laroche, 12 mars 1896.
  3. L’un de nos plus fougueux et plus intrigans adversaires fut un pasteur malgache, élève des missions anglaises, qui servait de chapelain à la reine.