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dit Bismarck en prenant un air étonné, à quoi ? — Mais aux notes que je vous écris depuis quatre semaines. — Ah ! c’est juste ; il y a là un amas de documens en langue russe, ce doit être cela ? mais en bas (ses bureaux étaient au-dessous de son appartement) personne ne connaît le russe et ce qui arrive écrit en un langage incompréhensible est relégué ad acta. » — il fallut bien, au moins dans les circonstances graves, en revenir au français.

La principale difficulté au rétablissement des anciennes relations avec la Russie était l’obstination de Gortschakof à y introduire la France en tiers. C’est donc des dispositions de Napoléon III que Bismarck dut d’abord s’assurer.

En quittant Paris, il se croyait certain de son bon vouloir : la nomination de Drouyn de Lhuys, réputé l’ami de l’Autriche, vint troubler cette sécurité. Qui sait si le nouveau ministre ne conseillerait pas d’accueillir les ouvertures de Metternich, dont l’Empereur lui faisait naguère la confidence ? Il interrogea notre ambassadeur Talleyrand. « Une rupture, lui dit-il, est imminente ; mais il dépend de moi de lui donner une forme plus ou moins aiguë, plus ou moins immédiate. La résolution dont le contre-coup se fera plus longtemps attendre sera probablement préférée par le Roi, mais il me faut aussi prendre en considération les sentimens des cabinets et en particulier celui de votre gouvernement. — Je ne puis croire, répondit Talleyrand, que les choses soient arrivées au point que tout accord entre vous et vos confédérés soit devenu impossible. Je suis convaincu, au contraire, que devant les dangers dont vous menacez l’Allemagne, l’accord se rétablira et que l’on trouvera un moyen terme dont vous n’aurez pas à vous offenser. — Je sais, reprit Bismarck, que l’on ne prend pas notre résistance au sérieux. On se souvient qu’au dernier moment, la Prusse jusqu’ici a toujours cédé ; mais, cette fois, si nous entrons dans la voie qui s’ouvre devant nous, nous ne pouvons plus reculer et il faudra bien la parcourir jusqu’au bout. Il est vrai que le Roi peut m’échapper, mais ce qu’il ne pourra pas faire, c’est de m’entraîner après lui. Plutôt renoncer au pouvoir dans les vingt-quatre heures que de subir une offense à l’honneur national, — Mais enfin, demanda Talleyrand, quelle serait votre attitude vis-à-vis des États voisins qui resteraient fidèles au pacte fédéral ? — Aux premiers indices de guerre, répondit Bismarck, nous les occuperons militairement. Nous entrerons sans hésiter dans le