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loyale fidélité au serviteur qui le couvrait de sa personne et n’a reculé devant aucune des nécessités de la lutte acceptée. Il le notifia au public en nommant Bismarck définitivement président du Conseil et, ce qui était encore plus significatif, ministre des Affaires étrangères (8 octobre)[1].


De Vincke, chef des anciens libéraux, proposa un amendement conciliateur. Bismarck déclara que sans s’approprier les motifs de cet amendement, il l’adoptait comme gage de ses propres efforts pour amener une entente. L’amendement fut rejeté et une résolution comminatoire de la commission du budget fut adoptée à la majorité de 251 voix contre 36 (7 octobre 1862). Au contraire, la Chambre des Seigneurs, à une majorité de 150 voix contre 17, rejeta le budget de la Chambre et accepta celui du gouvernement (10 octobre). La guerre constitutionnelle devenait inévitable. Bismarck prononça la clôture du Landtag (13 octobre) en déclarant « que le gouvernement se rendrait coupable d’un grave manquement à son devoir si, se conformant aux décisions de la Chambre, il perdait le fruit des sacrifices considérables déjà faits, compromettait la situation de puissance de la Prusse, en arrêtant la transformation militaire opérée en vertu et au moyen des allocations antérieures votées par la représentation du pays. Le gouvernement se trouvait donc dans la nécessité de gérer le budget de l’Etat sans la base supposée par la Constitution. » Il écartait la supposition d’un coup d’Etat en exprimant la certitude que ces dépenses obtiendraient plus tard l’approbation du Landtag.

L’opinion publique ne tint nul compte de l’explication et de la promesse implicite de ne pas faire de coup d’Etat ; elle ne s’arrêta qu’au fait d’un budget dépensé sans vote préalable des deux Chambres, et elle le dénonça comme une atteinte aux droits et aux libertés du peuple prussien. L’indignation se déchaîna contre le ministre et même contre le Roi, redevenu tout à coup aussi impopulaire qu’il l’avait été en 1848 et en 1849, quand on l’appelait le Prince-Mitraille.

  1. Les Mémoires grossissent la scène et mettent dans la bouche du Roi et de Bismarck un langage hors de proportion avec les circonstances qui n’offraient alors aucun péril. On ne comprendrait pas que Bismarck eût été obligé de recourir à tant d’argumens extrêmes pour amener son maître à une résistance que celui-ci lui avait imposée avant de l’appeler aux affaires. Le dialogue tragique a eu lieu et Bismarck l’a raconté au prince Napoléon et à d’autres, mais en le plaçant à la veille de la guerre de 1866. Là il s’explique et il est grand, tandis qu’à l’époque où les Mémoires le reportent, il ne serait qu’invraisemblable et déclamatoire.