Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 159.djvu/753

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

position pour vivre agréablement et n’obéir qu’à leurs caprices. — « J’ai vu trois rois pour ainsi dire nus et je dois dire que ces trois messieurs ne m’ont pas montré toujours quelque chose de bien beau[1]. » — Les souverains absolus les plus sages et les mieux disposés sont soumis aux faiblesses et aux imperfections humaines. Telle l’idée exagérée qu’ils se forment de leur propre sagesse, l’influence des favoris qui savent les prendre, sans parler des influences féminines, légitimes ou illégitimes. Le monarque le plus idéal, s’il ne doit pas devenir nuisible à tous par son idéalisme, a besoin de la critique. Ces coups d’aiguillon le remettent dans le bon chemin lorsqu’il court risque de s’en écarter. Joseph II est un exemple qui doit servir de leçon[2]. »


XIII

La nomination de Bismarck produisit un effet de stupeur, de colère et de terreur. Personne ne douta qu’il n’eût été choisi pour accomplir un coup d’Etat contre la Constitution prussienne et contre les libertés de l’Allemagne ; on se redisait les théories du député de 1848 et 1849 et on s’attendait à les retrouver dans les actes du ministre. Pourtant il ne se montra pas agressif au début. Il écrivit à Beust qu’il était absolument éloigné de tous les projets aventureux que ses adversaires dans la presse lui attribuaient. « Je n’éprouve pas le moindre désir, disait-il, de pousser la Prusse dans les voies de la politique sarde. » En arrivant au Parlement, il alla vers un des chefs de l’opposition, et, tirant de son portefeuille une petite branche d’olivier qu’il avait cueillie sur le tombeau de Laure, à Vaucluse : « C’est le symbole de la paix, voulez-vous l’accepter de ma main, au prix du vote du projet de loi militaire ? Si vous me cédez sur ce point où je ne puis transiger, vous me trouverez sur beaucoup d’autres d’un esprit conciliant auquel vous ne vous attendez pas. »

Il prouva aussitôt la sincérité de ce désir de rapprochement. On ne pouvait espérer que l’assemblée, qui venait d’effacer du budget de 1862 les dépenses militaires, les maintînt dans celui de 1863. Afin de prévenir un nouveau vote hostile qui eût rendu le différend inarrangeable, il retira le budget de 1863, en s’engageant à le représenter au commencement de la session prochaine,

  1. Busch, les Mémoires de Bismarck, t. II, p. 320.
  2. Mémoires, t. II, p. 12.