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que ce n’est pas un ami que nous aurons là. » Cette inquiétude devint une espèce de panique par la coïncidence de cette nomination avec l’arrivée à Paris de Budberg, l’ambassadeur de Russie. Rechberg envoya confidentiellement à Metternich des pouvoirs illimités pour s’entendre à tout prix avec l’Empereur[1].

Napoléon III cherchait le rachat de la Vénétie en Orient en passant par le Mexique : il eût pu s’épargner ce long trajet et l’obtenir avec la possession à son profit de la rive gauche du Rhin par-dessus le marché, s’il avait consenti à assurer à l’Autriche la prédominance en Allemagne par un traité d’alliance offensive et défensive : il préféra rechercher l’amitié de la Prusse. Il reçut Bismarck familièrement à Fontainebleau et il eut avec lui les entretiens les plus confians. Il parla avec respect de la noble personnalité du roi Guillaume. « Il regrettait ses difficultés intérieures avec le Landtag, il lui semblait que la Prusse était appelée par la nature des choses à opérer une transformation de la confédération allemande, et, si le gouvernement prussien en faisait le but de ses efforts, il surmonterait facilement ses autres difficultés. La France pouvait s’accommoder de toute transformation de l’Allemagne qui n’entraînerait pas l’entrée de l’Autriche dans la Confédération, parce que par là l’équilibre de l’Europe serait troublé. » Il l’instruisit de la communication de Metternich. « Elle me met en quelque embarras, lui dit-il, car, sans parler de l’antagonisme d’intérêt entre les deux États, j’ai une aversion presque superstitieuse à me mêler aux destinées de l’Autriche. » Puis à brûle-pourpoint, il lui demande s’il croyait le roi disposé à contracter une alliance avec lui. Bismarck, étonné d’une politique qui n’aurait pas été la sienne s’il eût été Napoléon III, répondit que le roi avait les meilleurs sentimens, que les préjugés de son pays contre la France avaient presque complètement disparu, mais qu’une alliance supposait un but déterminé. — L’Empereur convint que ce serait une grosse faute que de créer des événemens, qu’on ne pouvait supputer à

  1. Bismarck constate ces dispositions de l’Autriche dans ses Mémoires, t. Ier, p. 326. « Déjà à Francfort jetais arrivé à la conviction que la politique de Vienne ne reculerait au besoin devant aucune combinaison, quelle sacrifierait la Vénétie ou la rive gauche du Rhin si par là elle pouvait acheter sur la rive droite une constitution fédérale avec la prédominance assurée de l’Autriche sur la Prusse. S’il n’existait pas déjà contre nous une alliance franco-autrichienne, nous en étions redevables, non à l’Autriche, mais à la France, et non à quelque préférence de Napoléon pour nous (l’ingrat !) mais à sa méfiance à l’égard de l’Autriche, qu’il ne croyait pas capable de naviguer avec le vent alors puissant de l’idée nationale. »