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de nouveau les mêmes explications, M. Waldeck-Rousseau est monté à la tribune, et, en quelques paroles sèches et irritées, il a flétri la livraison de pièces confidentielles à un homme politique, pour finir par rejeter toute la responsabilité de la situation où ses agens l’avaient fourvoyé sur « la félonie d’un officier. »

Alors a éclaté un ouragan parlementaire dont rien ne peut donner l’idée. Pendant une demi-heure, M. le Président du Conseil est resté à la tribune sans parvenir à prononcer un mot. Le tumulte était au comble. Des cris passionnés s’échangeaient d’un côté à l’autre de l’assemblée. On entendait, tantôt des applaudissemens frénétiques, tantôt des clameurs indignées. Pendant quelques instans, on a chanté la Marseillaise. Le président de la Chambre, M. Paul Deschanel, a fait tout ce qu’il était humainement possible de faire pour ramener le silence, mais en vain. Finalement, il a dû se couvrir et la séance a été suspendue. Scandale déplorable, sans doute ; mais à qui la faute, sinon à M. Waldeck-Rousseau ? Nul orateur n’est ordinairement plus que lui maître de sa parole ; nul ne connaît mieux le sens des mots qu’il emploie. Il sait la différence entre un « crime, » comme avait dit M. le général de Galliifet, et une « félonie, » comme il a dit lui-même. Un crime ne porte pas toujours atteinte à l’honneur d’un homme, et ne le salit pas dans ses intentions secrètes : il n’en est pas de même de la félonie. Il y a dans la félonie quelque chose de vil et de dégradant. Voilà pourquoi, si l’expression de M. le général de Galliffet avait paru sévère, celle de M. Waldeck-Rousseau a été trouvée injuste autant qu’outrageante. C’est une lourde faute de la part d’un homme placé à la tête du gouvernement et qui a tant d’intérêts divers à ménager et à concilier : elle pèsera sur la réputation oratoire et surtout politique de M. Waldeck-Rousseau. Mais le mot, du moins, lui est-il échappé ? A-t-il trouvé son excuse dans la chaleur de l’improvisation ? Non : le sentiment de la Chambre a été que M. le Président du Conseil avait cherché l’effet qu’il a produit, bien qu’il n’en eût pas prévu toutes les suites. Singulière façon de produire l’apaisement ! Étrange manière de servir la conciliation ! Que ferait-on si on voulait déchaîner la guerre civile ? Le capitaine Fritsch a été coupable sans doute ; mais, s’il a mérité la peine qui l’a frappé, M. le Président du Conseil n’avait pas le droit d’y ajouter une expression qui sent le mépris. On n’insulte pas les gens qui ne peuvent répondre. M. le ministre de la Guerre l’a si bien compris qu’il s’est levé aussitôt et a quitté la salle des séances, laissant l’assemblée Incertaine sur ses résolutions. Cette incertitude a duré vingt-quatre heures, au bout desquelles on a appris que le