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80 francs les 100 kilogr., en 1871, ils les offrirent, les années suivantes, à 73, 55, 49, 39, 27 francs. Dans le même temps, l’alizarine artificielle, au contraire, voyait sa production croître de 4 tonnes à 1 260. En 1878, le prix de la garance naturelle tombait à 15 francs. Les agriculteurs travaillaient à perte. Le désastre était consommé.

Il s’agissait cependant d’une industrie ancienne et qui, après diverses péripéties, avait atteint son plein développement. Les habitans de la Gaule méridionale la pratiquaient dès le temps de la conquête romaine. Au moyen âge, la culture de la garance était florissante dans la basse Normandie, et l’exportation de l’écarlate de Caen formait une branche très lucrative du commerce de la cité normande. Un peu plus tard, cette culture paraît avoir succombé devant la concurrence des Flandres. Elle reparut en Alsace au commencement du XVIIIe siècle, et y prit une grande extension. Elle fut introduite, en 1756, en Provence où ses progrès ne furent pas moins rapides. Enfin, après 1815, l’adoption de la garance pour l’uniforme des troupes avait contribué à assurer la progression normale et régulière de cette culture. Cette prospérité fut interrompue brusquement par la découverte de l’alizarine artificielle. Les pantalons rouges de l’uniforme national ne sont plus teints aujourd’hui avec la garance nationale. Après avoir fait disparaître le produit naturel, l’Allemagne a monopolisé la fabrication du produit artificiel. En ne prenant pas trop rigoureusement les mots dans leur sens littéral, il est presque permis de dire que, s’il ne se cultive plus un pied de garance en France, il ne s’y fabrique pas non plus un seul kilogr. d’alizarine. L’Angleterre n’est guère mieux partagée que nous, à cet égard. La parfaite organisation d’une ou deux grandes fabriques allemandes, dont la Badische Anilin und Sodafabrik, a éteint toute velléité, de concurrence dans le monde entier.


IV

Une lutte du même genre s’est engagée récemment sur un autre terrain où l’industrie française est moins directement intéressée. Les péripéties n’en sont pas moins instructives et dignes d’être suivies. Il s’agit de la concurrence entre l’indigo naturel et l’indigo artificiel.