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CERTOSA


Te souviens-tu du cloître et de la cour déserte,
Coin de vie humble et de silence lumineux,
D’où l’on n’apercevait qu’un carré de ciel bleu
Et les monts étageant leur pente rousse et verte ?

La Chartreuse alentour rivait sa masse inerte.
Dans une vieille vasque à l’eau d’ambre, des nœuds
D’anguilles emmêlaient leurs rubans sinueux…
Et la tombe, de mottes fraîches recouverte ?

D’autres se voyaient moins ; l’herbe avait repoussé.
Alors, dans un petit jardin presque effacé
On nous a fait entrer par la cellule vide.

Une violette double y fleurissait encor,
Et tu cueillis, dans la beauté du soir splendide,
Le parfum de l’Amour et l’odeur de la Mort.


LA TOUR PENCHÉE


Lys autrefois jailli des âmes et du sol,
La Tour élance, avec l’ardeur d’une prière,
La beauté de ses fins diadèmes de pierre.
Où les ramiers neigeux vont abattre leur vol.

Lys oblique dressant sa robe lourde et blanche
Sous le mol et subtil azur du ciel pisan.
Lys caressé du vol silencieux des ans,
Dans l’éternel déclin d’une grâce qui penche !

Le marbre a la douceur vivante de la chair.
Aussi, quand l’or du soir est en suspens dans l’air,
Souvent l’énorme lys brusquement devient rose.

C’est le reflet du jour ? Non, c’est l’afflux vermeil
De l’invisible cœur qui bat dans toute chose,
Sang tiède et glorieux des anciens soleils !