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Turner, mais qui s’y trouve suffisamment indiqué, les impressionnistes dégagèrent et rapportèrent toute une théorie. D’abord ils proscrivirent de leur palette les couleurs neutres et déjà rompues comme les bruns, ne gardant que des couleurs vives : des jaunes, des orangés, des vermillons, des laques, des rouges, des violets, des bleus, des verts intenses comme le véronèse et l’émeraude. Réduits à ces couleurs éclatantes qui se rapprochent de celles du spectre solaire, ils s’interdirent encore d’en ternir l’éclat par des mélanges sur la palette. Enfin, dans leur dernière évolution, ils cherchèrent à éviter non seulement le mélange sur la palette et dans la brosse, mais même, jusqu’à un certain point, le mélange sur la toile, composant les tons, le plus qu’ils pouvaient, par petits fragmens purs, les uns à côté des autres. Pour composer un violet par exemple, la théorie divisionniste enseigne qu’il ne faut point prendre le violet d’un tube, ni former un violet sur la palette, ni même mêler sur la toile du rouge et du bleu, mais bien poser une touche de rouge, puis une de bleu, à côté, sans les mêler, mais si près l’une de l’autre, qu’à une certaine distance l’œil recompose le ton violet.

C’est l’application exacte de la théorie enseignée en 1856 par Ruskin et que M. Paul Signac a résumée en 1899, par ces trois articles : 1° Palette composée uniquement de couleurs pures se rapprochant de celles du spectre solaire ; 2° Mélange sur la palette et mélange optique ; 3° Touches en virgules ou balayées. — Assurément, ce programme, en passant de la théorie à la pratique, a subi bien des accommodemens. Ni M. Claude Monet, ni même M. Pissarro ne l’ont absolument appliqué. D’ailleurs, ils n’avaient jamais prétendu l’appliquer et ce n’était là qu’une suggestion d’avenir ou, si l’on veut, un idéal. Mais si nous regardons, au Grand Palais, la Vue de Rouen de M. Camille Pissarro ou l’Argenteuil de M. Claude Monet, nous verrons qu’autant qu’une suggestion peut être suivie, celle-là le fut par ces peintres, et devant ces deux exemples, les plus prévenus conviendront qu’elle a conduit à un très beau résultat. L’éclat de ces eaux, la vibration de cette lumière, la palpitation de ces reflets, la légèreté de cette atmosphère fine, l’harmonie douce de ces tons dont chacun est violent, tout prouve que l’impressionnisme a apporté ici une affirmation vraie. Deux salles plus loin, la Danseuse de M. Renoir est une merveille d’harmonie. Et si nous allons, après cet examen, regarder, au Luxembourg, les Bords