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le même bois... un homme d’un esprit sceptique, d’une volonté inactive, est saisi par l’amour ou par la douleur et devient un poète ou un apôtre : c’est pourtant la même âme... Que la même substance se colore suivant le milieu de façons différentes et que chaque couleur différente de ce milieu agisse en même temps sur elle de façon à la partager, à la barioler, à la tatouer si l’on veut, selon les mille hasards de l’ombre, du rayon, du reflet, du nuage et de l’air, voilà qui n’est pas seulement une fantaisie impressionniste dans l’art, mais une vérité profonde à la fois dans la nature et dans la vie.

Mais ce n’est pas tout. Les taches des reflets ne séparent pas seulement une même figure en morceaux de différentes couleurs sur le même plan, comme une mosaïque : elles en creusent aussi les surfaces planes, et les sculptent en profondeur comme des bas-reliefs. Elles varient les plans de cette surface plane de telle sorte qu’elles en modifient complètement aux yeux la nature et la composition. Regardez La Loge de M. Renoir et vous verrez le plastron empesé du lorgneur, qui est apparemment, d’une matière dure, creusé par les taches d’ombre, et repoussé par les reflets de lumière, de façon à présenter l’aspect d’un agglomérat de coton. Parfois, donc, la lumière trompe absolument sur la nature de l’objet représenté. Pour le reconstituer, il faut faire appel au sens du toucher. Il faut que la main se porte sur l’objet et, le palpant, nous rende la notion qu’il subsiste sous les reflets contraires et les diverses couleurs.

Maintenant, ces jeux de la lumière, ces actions et ces réactions infinies des reflets, comment les analyser avec assez de finesse pour les surprendre et les fixer avec assez d’éclat pour les retenir. Cette atmosphère lumineuse, qui bouleverse les formes, interchange les couleurs, par quel moyen subtil l’exprimer ? Puisque ce n’est plus la figure qu’il s’agit de délimiter dans l’espace, ni les arbres dont il s’agit d’indiquer l’essence, puisque c’est la lumière qui devient le principal personnage du tableau, comment peindre cette lumière qui remplace dorénavant le sujet, l’action, la figure, le caractère, et pétrissant à son gré tous les corps, enveloppant tous les plans, reliant toutes les silhouettes, fondant toutes les couleurs.


Semble l’âme de tout qui va sur chaque chose
Se poser tour à tour ? ...