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Que de larmes, en effet, durent verser les survivans, lorsqu’ils s’en allèrent ensevelir les morts sur les lieux du carnage ! L’effroyable spectacle ! Les wagons réduits en pièces, les lits brisés et éparpillés, les bagages dispersés sur les bords de la rivière, et, au milieu de ces bouleversemens, des monceaux de cadavres, des visages mutilés, des corps tardés de coups d’assagaie, des femmes horriblement défigurées, des enfans aux crânes fracassés contre les roues des chariots, des nourrissons ayant à la bouche les seins coupés des mères qui les allaitaient. Reculant d’horreur à cette vue, Sarel Cilliers s’écria : « Dieu ! nous vengerons ces innocens ! » Sous les amoncellemens de cadavres, on trouva deux petites filles qui donnaient encore signe de vie : c’étaient Catherine Prinsloo et Johanna van den Merve, qui portaient l’une vingt et une, l’autre dix-neuf blessures causées par la pointe des assagaies. À force de soins, on put les rendre toutes deux à la vie. Le nombre des morts s’élevait à 531, parmi lesquels 185 enfans. Un seul wagon contenait 50 cadavres. Des famille entières avaient été massacrées : père, mère, frères et sœurs gisaient à côté les uns des autres.

Un des traits les plus touchans de l’histoire des Boers, c’est l’union qui régna toujours parmi eux aux jours d’adversité. Quand le commandant Hendrik Potgieter, qui s’était séparé du gros de l’expédition, apprit le désastre qui avait frappé ses frères du Natal, il franchit aussitôt la chaîne du Drakensberg pour voler à leur secours. Il se joignit au commandant Piet Uys, et se mit en marche contre Dingaan, le 5 avril 1838, à la tête de 347 cavaliers. Les Anglais établis à Port-Natal organisèrent de leur côté une expédition composée de 20 blancs et de 4 500 Zoulous qui avaient fui la tyrannie de Dingaan et s’étaient mis sous la protection des blancs. Cette expédition, au lieu de se joindre aux Boers, opéra séparément et se rendit dans le Zoulouland par une autre route. Piet Uys et Potgieter envahiront le Zoulouland et se dirigèrent vers la capitale de Dingaan. Au bout de trois jours de marche, il atteignirent les Zoulous, qui, au lieu d’accepter le combat, mirent à fuir pendant deux jours. Mais ce n’était qu’une feinte, à laquelle se laissèrent prendre les Boers qui ne soupçonnaient pas que l’ennemi les attirait vers un guet-apens. Le 11 avril, les Boers arrivèrent à l’entrée d’un ravin qui était si étroit qu’ils durent y pénétrer un à un ; du fond du ravin, ils aperçurent les Zoulous sur la crête d’une montagne qui se dressait en face. Piet Uys