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par l’épée leur droit de premier occupant. Dingaan avait d’ailleurs si peu l’intention d’exécuter ses engagemens, que, tout en dissimulant avec la plus parfaite maîtrise, il n’attendait qu’une occasion pour jeter le masque. Cette occasion s’offrit le 6 février 1838, trois jours après l’arrivée de Retief.

C’est au journal du missionnaire Owen et au récit de William Wood, l’interprète de Dingaan, que l’on doit les détails de cette fatale journée, la plus sombre de l’histoire des Voortrekkers. Wood rapporte que, dès le matin, il remarqua, à l’attitude de Dingaan, qu’il roulait de sinistres pensers. Il en avertit secrètement les Boers, leur dit qu’il craignait que Dingaan n’eût de méchans projets, et leur conseilla de se tenir sur leurs gardes. Mais ils s’obstinèrent dans leur inexplicable aveuglement et répondirent en riant qu’ils étaient sûrs que le cœur du roi était avec eux et qu’ils ne craignaient rien.

C’était ce jour même que Retief devait prendre congé de Dingaan. Le roi l’avait invité à pénétrer avec ses gens dans le kraal pourboire avec lui l’utshwala, la bière des Cafres ; mais, contrairement à l’usage des Cafres, qui avaient le privilège de paraître devant leur chef avec leurs armes, les Boers devaient laisser leurs fusils hors du kraal. Au mépris de toute prudence, Retief se soumit à cette exigence. Il prit un siège près de Dingaan, et ses compagnons s’assirent autour de lui. Le spectacle commença. Sur un signe du roi, deux régimens s’avancent pour exécuter des danses et des chants en l’honneur des étrangers. Le premier régiment est celui des Peaux de boucliers blancs, Isihlangu Mhlope : ce sont les meilleurs soldats de Dingaan, les vétérans. L’autre régiment est composé de jeunes soldats : ce sont les Peaux de boucliers noirs, Isihlangu Muyama. Avec la grâce et l’habileté qui s’acquièrent par un exercice constant, les guerriers pirouettent et tournent dans des cercles de plus en plus étroits ; tout en dansant, ils chantent de leur puissante voix de basse qui fait vibrer le sol ; et peu à peu ils se rapprochent des hommes blancs et finissent par les envelopper complètement. Soudain Dingaan pousse un cri : « Saisissez-les ! » Et la bataille mimique se change alors en une horrible réalité. D’un bond les sauvages fondent sin les blancs qui ne peuvent que jeter un cri de désespoir : « C’est fini de nous ! » Thomas Halstead, le seul d’entre eux qui parle la langue zouloue, s’écrie en suppliant : « Laissez-moi parler au roi ! » Dingaan l’entend et répond : « Bulala Abatakati. » (Tuez