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thé. Quand tous ces préparatifs furent terminés, la plupart ne possédaient plus que le peu d’argent qu’ils avaient reçu pour leurs esclaves et leurs maisons ; et il en résulta plus tard que, dans les premiers temps de leur établissement au Natal, beaucoup s’estimèrent heureux de pouvoir fournir une journée de travail pour un morceau de pain.


II

Les intrépides émigrans se mirent enfin en marche vers le milieu de l’année 1836. Comme ils habitaient des districts fort éloignés les uns des autres, ils se rejoignirent en des lieux qui avaient été désignés d’avance. Trois grandes troupes furent ainsi formées : la première, commandée par Hendrik Potgieter, la seconde par Gert Marthinus Maritz, la troisième par Jacobus Uys. La troupe de Potgieter était la plus considérable : elle n’emmenait pas moins de cent wagons avec un nombreux bétail. Uys était le plus vénérable des trois chefs : il était âgé de soixante-dix ans quand il entreprit l’aventureuse expédition. Sa troupe comptait une centaine d’émigrans, et il en était à la fois le chef et on pourrait dire, le père, car l’expédition se composait presque entièrement de ses enfans, beaux-enfans et petits-enfans. Quand la troupe traversa Grahamstown, les habitans de cette ville offrirent au vieux patriarche une magnifique Bible en témoignage de respect. Au moment où le gros de l’expédition traversa la large et rapide rivière qui devait les séparer à jamais de leur ancienne patrie, ils rédigèrent un document dans lequel ils manifestaient leur intention de conserver leur indépendance dans la contrée vacante où ils allaient s’établir et exposaient les raisons qui les déterminaient à quitter la colonie pour chercher une nouvelle patrie. Ils ne pouvaient, disaient-ils, supporter la perte de leurs esclaves, ni recevoir une compensation dérisoire ; ils ne pouvaient endurer les violences et les brigandages des tribus cafres, contre lesquelles le gouvernement était impuissant à les protéger. Ils protestaient contre le flot d’outrages et d’injustices lancé contre eux, ne sachant à qui recourir pour l’endiguer. Ils quittaient le Cap pour aller chercher la tranquillité. Ils s’engageaient à ne molester personne dans leur exode ; ils étaient décidés, toutefois, à se défendre, s’ils étaient attaqués, et à mourir, s’il le fallait. Ils quittaient la colonie afin de n’avoir plus aucune relation avec le gouvernement