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les Anglais les regardaient de loin, à travers les lunettes bleues des missionnaires protestans. Les Boers avaient expérimenté cruellement la fausseté, la ruse, la rapacité des naturels. Les Anglais avaient une foi aveugle dans les missionnaires Van der Kemp, James Read et Philip, ennemis des Boers et amis des Cafres. La politique anglaise à l’égard des naturels devait donc être tout opposée à celle des Boers, et il en résulta un profond mécontentement. Les Boers se plaignaient surtout de n’être point protégés contre les Cafres sur les frontières. Le grief était ancien, car, dès 1812, on avait dû chasser les Cafres de la colonie et édifier sur les frontières une ligne de forts destinés à les tenir en respect. Quelques années plus tard, le gouvernement avait dégarni ces forts pour concentrer les troupes dans l’intérieur. Les Cafres en profitèrent pour affluer sur les frontières et harceler les Boers qui étaient constamment menacés d’être assassinés, de voir leur bétail volé ou leurs maisons pillées et livrées aux flammes. Il ne se passait pas de semaine sans quelque acte de pillage ou de piraterie, et les troupeaux des Boers ne cessaient de diminuer par suite des continuels brigandages des noirs. Après guerre sur guerre, éclata la grande invasion de 1834. Le 23 décembre de cette année, les chefs Makomo et Tyali franchissent la frontière avec une troupe de 20 000 Cafres, dévastent les districts d’Albany et de Somerset, massacrent hommes, femmes et enfans, et enlèvent tout le butin qu’ils peuvent emporter. Ils tuent plus de 50 Boers, ruinent 3 227 blancs, brûlent 239 maisons, enlèvent 30 140 bêtes à cornes, 964 chevaux et 55 554 moutons, sans parler des ravages causés aux champs. Le colonel Harry Smith est envoyé à la frontière au secours des Boers ; il amène avec lui 800 soldats ; les Boers ne font aucune difficulté de combattre avec les Anglais, pour rentrer en possession de leur bétail. L’ennemi est mis en fuite, et le butin repris. Les Boers vont-ils au moins récupérer leurs biens volés ? Comme ils s’y apprêtent, ils reçoivent défense de le faire, et le bétail est vendu publiquement à leur barbe, car il faut bien payer les frais de guerre. Et, comme si cette mystification ne suffisait pas, le gouvernement de la métropole y ajoute l’insulte. Le gouverneur, sir Benjamin d’Urban, avait, au lendemain de la guerre, en vue de protéger les Boers contre de nouvelles incursions, annexé à la colonie du Cap une grande partie du territoire des Cafres. Lord Glenelg, secrétaire pour les Colonies, ordonna de rapporter immédiatement cette