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pendant mon commissariat à Marseille, sous la domination des opportunistes du temps, les hommes du National. Je ne voulais pas user ma vie à combattre pour ou contre la république ou la monarchie, question secondaire, relative, et de la solution de laquelle la prospérité d’une nation ne dépend pas plus que le succès d’une entreprise industrielle n’est attaché à ce qu’elle soit constituée en société anonyme ou en commandite. La république de Washington vaut mieux que la monarchie de Louis XV, mais qui préférera la république de Robespierre à la monarchie de Marc-Aurèle ? Mon élection s’était faite en dehors du parti républicain et contre lui. J’étais donc véritablement indépendant de tous les partis, n’ayant à rechercher que ce qui était utile au peuple, mon seul juge. Il me sembla que désormais la devise de mon opposition devait être celle qu’un de mes maîtres dans la science du droit, Charles Dumoulin, dans un temps de guerre civile, mit en tête de son écrit sur les Petites dates : Non ut evertereni sed ut sanarem. Je résolus donc d’aider l’Empereur à établir un gouvernement de liberté en France.


IV

Pesez mes expressions. Je ne dis pas restituer la liberté, je dis l’établir. Elle n’avait jamais réellement existé jusque-là. La liberté sociale nous avait toujours été refusée, et notre parlementarisme ne nous avait donné qu’une forme décevante de la liberté politique.

Le plus pur et le plus impénitent des libéraux, le P. Lacordaire, a dit : « Il est vrai, une tribune avait été debout, une presse avait été libre, mais, derrière ce théâtre éclatant de la vie nationale, qu’y avait-il, sinon l’autocratie absolue de l’administration publique, sinon l’obéissance passive de tout un peuple, le silence de rouages morts et mus irrésistiblement par une impulsion étrangère à la famille, à la commune ; à la province, enfin, de l’avis de tous, jusque dans les plus minimes détails, livré à la domination de quelques hommes d’État, sous la plume oisive et indifférente de 100 000 scribes ? Or, savez-vous bien qui a inventé ce mécanisme ? Qui a créé cette servitude ? Ce n’est pas la Révolution, c’est l’Ancien Régime ; c’est Louis XIV et Louis XV, ce n’est pas le présent, c’est le passé. Vous avez seulement recouvert la servitude civile, la pire de toutes, du voile trompeur de la liberté