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l’écho de la sincérité ? Le plus spirituel de tous les poètes n’a-t-il été vraiment qu’un poète spirituel ? N’a-t-il vraiment éprouvé aucune des émotions qu’il a exprimées, ou encore ne les a-t-il éprouvées que pour se moquer d’elles et les parodier ? C’est du moins ce que paraissent croire de plus en plus, comme on l’a vu, ses compatriotes : et c’est déjà ce que croyaient, de son vivant, bon nombre d’hommes qui l’avaient approché. A un jeune journaliste allemand qui lui demandait son avis sur les poèmes de Heine, Alfred de Musset répondait qu’il ne pouvait malheureusement les juger, ne les ayant lus qu’en traduction française, mais qu’il était frappé de leur manque de sérieux. « On a prétendu les comparer aux miens, — disait-il ; — ils n’y ressemblent pourtant en aucune façon. Un homme qui rit de tout, qui écarte de lui avec un sarcasme toute émotion et toute croyance, un tel homme est exactement le contraire de ce que je suis. Moi aussi, toute ma vie, j’ai connu le doute ; mais j’ai douté avec des larmes d’angoisse, non avec un sourire moqueur, comme votre compatriote. » Et voici comment le caractère de Heine était apprécié par deux de ses camarades de l’Université de Gœttingue, qui tous deux sont devenus plus tard des écrivains de talent. « Heine, — disait Adolphe Peters, — joue aux cartes avec ses sentimens les plus profonds ; rien ne lui paraît si sacré qu’il ne le soumette à sa haineuse ironie, et son sarcasme continuel finit par m’exaspérer. » Et Edouard Wedekind écrivait dans son journal intime : « Heine éprouve un plaisir incroyable à mystifier tout le monde : jamais il ne pourra être pour moi un véritable ami, mais je passe volontiers quelques heures avec lui. Le malheur est que, souvent, je ne sais pas si je dois prendre ce qu’il me dit pour l’expression de sa pensée, ou s’il le dit seulement pour me mystifier. » L’incertitude qu’éprouvait, en présence de Heine, le jeune étudiant de Gœttingue, les critiques allemands l’éprouvent aujourd’hui en présence du Livre des Chants et du Romancero.

C’est encore Wedekind qui, dans son Journal, transcrit tout au long le plan d’un Faust que son camarade projetait d’écrire :


Nous parlions, tout à l’heure, du Faust de Gœthe. — Je prépare, moi aussi, un Faust ! — s’est écrié Heine, — non point pour rivaliser avec Gœthe, non, mais parce que tout poète se doit d’écrire un Faust... Son drame sera la contre-partie de celui de Gœthe. Chez Gœthe, Faust agit toujours, c’est lui qui ordonne à Méphistophélès de faire ceci ou cela. Chez Heine, Méphistophélès sera le principe actif : et ce sera lui qui amènera Faust à toute sorte de diableries. Le Faust de Heine sera un professeur de Gœttingue, qui s’ennuie au milieu de son érudition. Alors le diable vient à lui, lui fait un cours, lui explique ce qui en est du monde, et amuse tant le professeur que celui-ci commence à