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le mélodrame et c’est le vaudeville. Sarcey y prenait un plaisir extrême. Toutes ces théories de Sarcey sont assez connues pour qu’il soit inutile d’y insister. Elles reviennent à dire que ce qu’il goûtait dans le théâtre c’était uniquement le théâtre. Il aimait le théâtre pour le théâtre et l’art pour l’art.

Dans la critique ainsi conçue, on voit assez que les parties sont liées, que tout s’explique et se déduit, et on comprend aisément quel en peut être l’effet immédiat. Mais en même temps, quelle n’en est pas l’indigence, l’insuffisance et j’allais dire l’inanité ! Qu’est-ce qu’une critique qui se borne à enregistrer le goût du public, et ne va-t-elle pas contre le but de toute critique ? Le public suit son instinct ; il y est assez porté de lui-même et pour aller vers ce qui lui fait plaisir, il n’a pas besoin que nous l’y poussions. Est-ce à nous de le faire verser du côté où il penche ? Au contraire c’est à nous de l’avertir, de le mettre en garde contre lui-même, de l’aider à réagir contre ses entrainemens et parfois de lui faire honte de ses goûts et de le faire rougir de certains des plaisirs auxquels il se prête. Arriverons-nous à le corriger ? Nous savons bien que non. Du moins aurons-nous obtenu ce résultat qu’il ne lui sera plus permis de se donner le change, de se faire illusion sur la qualité de son plaisir, et de croire que tout ce qui l’amuse vaille par cela même d’être estimé. Et d’autre part qu’est-ce qu’une critique qui, dans un drame de Sophocle, s’attache aux moyens qui lui sont communs avec un drame de d’Ennery, et n’apprécie dans un art que ces moyens ? Connaître l’emploi de ces moyens, cela sans doute est indispensable ; mais, à l’aide de ces moyens, quels résultats a-t-on obtenus, voilà ce qui importe. Il faut, sans doute, que pendant les quatre heures qu’il passe dans une salle de théâtre, le spectateur ne connaisse ni la fatigue, ni l’ennui. Mais, une fois qu’il est sorti de la salle, que lui reste-t-il et quel prix obtient-il de l’effort d’attention qu’il vient de faire ? Toute cette mise en scène, tous ces artifices compliqués, tout ce déploiement de ressources multiples n’a-t-il eu pour effet que de l’aider à tuer quelques instans de sa vie ennuyée, et de l’aider à rendre plus brève la fuite du temps ? Ou bien des idées se sont-elles éveillées en lui, sa curiosité a-t-elle été attirée vers certains aspects de sa condition, des germes ont-ils été déposés en lui, qui se développeront par le travail de la réflexion ? Une œuvre dramatique n’entre dans la littérature qu’autant qu’elle se charge des élémens que Sarcey y considérait comme des élémens de surcroît ; sans eux, elle n’est qu’une pauvre chose, le prétexte d’un divertissement forain.