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la Poudre de Perlimpinpin, il croit indispensable qu’on puisse à l’occasion disserter congrûment de Molière et de Racine. On sait avec quelle passion Sarcey s’occupait de la Comédie-Française, dont il s’était fait en quelque manière l’historiographe et le Dangeau. C’est à elle qu’il faut toujours revenir : elle est le sanctuaire ; là et non pas ailleurs doit s’installer quiconque, en matière théâtrale, prétend à rendre des oracles. La tradition, le répertoire, la Comédie-Française, tels sont les mots que ne doit cesser d’avoir à la bouche le critique jaloux que ses arrêts soient écoutés respectueusement jusque dans les music-halls et les baraques foraines. Tel est le « tarte à la crème » du genre. Et c’est ce que n’ignorent pas ceux qui ambitionnent de reprendre quelque jour l’emploi que Sarcey disparu laisse vacant. Enfin Sarcey ne s’était pas contenté d’accumuler des faits d’expérience : il les avait ordonnés et classés dans son esprit ; il en avait dégagé quelques idées. Ces idées étaient liées entre elles, et formaient sinon un système, du moins un ensemble et un corps.

Mais ce qui fut, chez Sarcey, le grand mérite et la principale habileté, c’est qu’il s’est connu admirablement. Une s’est fait sur lui-même et sur les ressources dont il disposait aucune espèce d’illusion : il a mesuré exactement l’étendue de ses moyens, se contentant de faire en sorte d’en tirer le meilleur parti : il n’a pas forcé son talent. En ce sens, il mérite de servir d’exemple et l’art qu’il a le mieux enseigné est celui qui consiste à mettre à profit ses défauts aussi bien que ses qualités et à s’en faire une manière. Instruit sans être érudit, curieux sans avoir un grand mouvement d’idées, et bon écrivain sans avoir la virtuosité qui supplée à la valeur de la pensée parle prestige de la forme, il n’essaya même pas de donner à ses feuilletons ces mérites « à côté » par lesquels certains critiques s’efforcent de parer à l’indigence de la matière que leur fournit l’étude de la production dramatique courante. Il ne manquait pas d’esprit ; cet esprit fait de verve, de gaieté, de raillerie bon enfant et de grosse plaisanterie, le servait à merveille dans la polémique : il était incomparable pour assommer les gens d’un coup de patte nonchalant et sans avoir l’air de leur en vouloir ; les rieurs étaient de son côté. Toutefois il n’était pas de ceux dont l’esprit part en fusées et qui éblouit à la manière d’un feu d’artifice. Il ne manquait pas de style : sa langue était excellente et correcte ; toutefois n n’était pas de ceux qui ont un « style ; » et à surveiller sa phrase, il est probable qu’il l’eût gâtée. Il eût été mal avisé de faire des gambades et de faire des grâces : il évita de donner dans ce travers. Il n’avait pas le brillant, il se promit d’être consciencieux ; il était lourd, il comprit