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à première vue, quelque aviso de l’État. Tout l’avant est, en effet, couronné d’une guirlande de « Cols-bleus, » des adolescens, des enfans même, pour la plupart, que surveillent quatre ou cinq personnages galonnés. Serait-ce un détachement de l’École des Pupilles ou de l’Ecole des Mousses ? ... Mais non. Sur le rebord du béret on lit : « Colonie Maritime. » Et j’apprends que c’est l’Orphéon du Pénitencier de Belle-Isle, obligeamment mis par le directeur, M. Pérou, à la disposition de la caravane nautique. Heureuse pensée où chacun trouvera son compte : les jeunes détenus vont savourer les délices de quelques heures de vacances, et nous aurons, nous, de la musique sur la mer.

A la coupée du vapeur se tiennent les commissaires des fêtes, parmi lesquels M. Le Beau, le distingué rédacteur de l’Avenir du Morbihan, un journaliste, entre parenthèses, qui ne fait point mentir son enseigne. Car le Mor bihan, c’est-à-dire la « petite mer, » n’a pas de pèlerin plus passionné, ni de zélateur plus énergique.

— Je suis un fanatique du Golfe, me conte-t-il tandis que nous prenons place ; plus je le parcours, plus il m’enchante : Il n’a pas un recoin qui ne me soit familier, et, cependant, il m’est toujours nouveau : le revoir, pour moi, c’est le découvrir. N’est-ce pas à cela que se reconnaît le véritable amour ?

Et il ne l’aime pas seulement pour sa beauté, pour la ciselure, la délicate orfèvrerie de ses rivages, pour l’égrènement harmonieux de ses îles, pour les chatoyantes nuances de ses eaux et les irisations de ses courans ; il l’aime plus encore peut-être pour les élémens de prospérité qu’il renferme, pour l’activité féconde qu’on verrait naître sur ses bords, si l’on se donnait la peine de la provoquer. Cette « mer morte, » comme il l’appelle non sans tristesse, il suffirait de quelques capitaux sagement employés pour la transformer en une puissante source de vie, et c’est l’« avenir » que M. Le Beau, avec une persévérance que rien ne décourage, travaille depuis des années à rendre prochain.


I

La sirène du Solacroup a déchiré la grande paix ensoleillée du matin. La fanfare joue un air de marche et nous commençons à descendre vers l’embouchure de l’estuaire, entre des berges plates que prolongent, à droite, des lointains boisés ; à gauche,