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lois. Plus tard, il fera venir les larmes aux yeux de ses belles auditrices des salons, en leur lisant certains épisodes de cette guerre : le trait du paysan à qui les bleus disaient : « Rends-toi ou tu es mort ! » et qui répondait : « Rendez-moi mon Dieu ! » en tombant sous leurs coups ; — celui de la Rochejaquelein sabrant le drapeau bleu et or des la Trémouille que le prince de Talmont s’était avisé d’arborer à la tête de ses chouans : « Prince, nous ne suivons que les fleurs de lys ! », — le mot de ce prince de Talmont à ses juges : « Faites votre métier, j’ai fait mon devoir ! » Une fois en train, notre sous-préfet poursuit ce travail avec une ardeur extrême : non content de puiser aux sources que lui indique la marquise, il fond dans le récit les notes qu’il obtient de nombreux témoins. « L’ouvrage, lui écrit-elle, est bien vôtre par le charme et l’ordre que vous y avez répandus... Vous unissez au talent d’écrire celui de sentir. » Les Mémoires furent d’abord lus, en petit comité, chez Mme de Duras, de Laval, de la Briche, de Staël, Récamier ; on redoutait trop les rancunes des bleus, les vexations de la magistrature, le mécontentement de Napoléon, pour risquer une publication. Elle eut lieu sous la Restauration, et les volumes parurent avec le sous-titre : rédigé par M. de Barante. A mesure que le succès grandissait, la part de collaboration sembla moins importante à Mme de la Rochejaquelein ; ce phénomène moral ne saurait étonner ceux qui ont quelque expérience ; ni les précédens ne lui ont manqué, ni les imitateurs ne lui feront défaut.

Malgré ses amitiés libérales et royalistes, le sous-préfet de Bressuire n’était pas mal en cour : l’Empereur, qui se connaissait en hommes, lui savait meilleur gré sans doute d’avoir fait la conquête de son arrondissement que d’avoir écrit le Tableau littéraire du XVIIIe siècle. « Il est un peu idéologue, observait-il, mais il est bon administrateur. » Et il le nomma préfet de la Vendée à vingt-six ans (13 février 1809).

On dit que les malheurs arrivent par troupe et au galop, que le bonheur chemine solitaire et au petit pas. Prosper de Barante perdit à cette époque deux frères, une sœur tendrement aimés ; mais sa bonne étoile lui ménagea une revanche de la destinée. Dans ses fréquens voyages à Paris, il rencontrait chez Mme de la Briche sa nièce, Mlle Césarine d’Houdetot, petite-fille de Mme d’Houdetot, si célèbre par sa morale épicurienne, la passion un peu ridicule de Jean-Jacques, la grâce de sa conversation, celle-là même dont le marquis de Saint-Lambert, qui l’aima quarante-huit