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assidu de Coppet pendant ses congés, et gagnera beaucoup à cette grande école littéraire et politique ; mais témoigner une amitié si dévouée à une femme qui faisait ombrage à l’Empereur pouvait passer pour une courageuse imprudence : on le vit, en 1810, lorsque le préfet de Genève fut, malgré ses mérites, révoqué à cause de ses ménagemens envers Mme de Staël et les autres exilés.

Désigné, pendant la campagne de 1806-1807, pour remplir les fonctions d’auditeur à Dantzig, Barante discerne à merveille les dangers de ces guerres de magnificence, de cette politique d’imagination qui inquiétait déjà la masse de la nation. Il voit de près les horreurs des champs de bataille, les fléaux de la guerre même heureuse, et, sans se soucier du cabinet noir, traduit son impression dans des lettres qui lui attirent une demi-disgrâce. L’Empereur, en 1807, le nomme sous-préfet de Bressuire, petite bourgade de la Vendée, réduite par la guerre civile à six ou sept cents habitans. Là, il n’hésite pas à cultiver la société de la marquise de la Rochejaquelein, une des héroïnes de la guerre de Vendée : tout en reconnaissant les fautes, les abus de l’ancien régime, la marquise et sa mère haïssaient le régime nouveau et souhaitaient sa chute. Le jeune sous-préfet leur dit un jour ces paroles doublement prophétiques :

« Je crois, comme vous, que l’Empereur est destiné à se perdre ; il est enivré par ses victoires et la continuité de ses succès. Un jour viendra où il tentera l’impossible, alors vous reverrez les Bourbons. Mais ils feront tant de fautes, ils connaissent si peu la France, qu’ils amèneront une nouvelle révolution. »

Mme de la Rochejaquelein avait commencé ses Mémoires ; elle les lut à son nouvel ami, lui proposa de les mettre au point, de les achever. Il avait publié en 1805 les lettres de Mlle Aïssé avec une excellente notice, soutenu contre Geoffroy une polémique sur l’observation de la vérité dans les drames historiques ; il venait de donner son Tableau littéraire du XVIIIe siècle, où, avec une vigueur qu’on n’aurait pas attendue d’un jeune homme de vingt-quatre ans, il développait cette thèse que la littérature du XVIIIe siècle a été le symptôme, non la cause réelle des idées de réforme qui allaient prévaloir, ces idées étant nées du travail des siècles, de la constitution intérieure du pays. Mis on relations avec les compagnons de Lescure, d’Henri de la Rochejaquelein, de Bonchamps, il apprécia leur caractère, et disait hautement qu’il serait injuste de leur demander autre chose que l’obéissance aux