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Croyons-en seulement Ronsard, et dès le début de son Discours des Misères de ce temps :


Ha ! que diront là-bas, sous leurs tombes poudreuses,
De tant de vaillans Rois les âmes généreuses.
Que dira Pharamond ! Clodion et Clovis !
Nos Pépins ! nos Martels ! nos Charles ! nos Loys !
Qui de leur propre sang, à tous périls de guerre.
Ont acquis à leurs fils une si belle terre ?
Que diront tant de ducs et tant d’hommes guerriers
Qui sont morts d’une plaie au combat les premiers
Et pour France ont souffert tant de périls extrêmes,
La voyant aujourd’hui détruire par soy mesmes ?
Ils se repentiront d’avoir tant travaillé
Assailli, défendu, guerroyé, bataillé
Pour un peuple mutin divisé de courage.
Qui perd en se jouant un si bel héritage,
Héritage opulent, que toi, peuple qui bois
La Tamise albionne ; et toi, More, qui vois
Tomber le chariot du soleil sur ta tête ;
Et toi, race Gothique, aux armes toujours prête,
Qui sens la froide bise en tes cheveux venter,
Par armes n’aviez su ni froisser ni dompter.

Ne sont-ce pas là d’admirables vers, — que je n’ai garde, pour le moment, de préférer ou de comparer aux vers plus connus et partout cités :


Mignonne, allons voir si la rose...


et :


Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle...


mais qui en diffèrent ; qui nous donnent une tout autre idée du poète ; qui nous montrent un autre homme en lui que l’épicurien voluptueux et mélancolique auquel il semble que la légende ait réduit tout son personnage ?

Entendez-le encore, dans la Continuation du Discours :


De Bèze, je te prie, écoute ma parole...
……………
La terre qu’aujourd’hui tu remplis toute d’armes,
……………
Ce n’est pas une terre allemande ou gothique,
Ni une région tartare ni scythique,
C’est celle où tu naquis, qui douce te reçut
Alors qu’à Vézelay ta mère te conçut ;