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Tu ne le peux nier : car de ma plénitude
Vous êtes tous remplis ; je suis seul votre étude ;
Vous êtes tous issus de la grandeur de moi ;
Vous êtes mes sujets, et je suis votre loi.
Vous êtes mes ruisseaux, je suis votre fontaine,
Et plus vous m’épuisez, plus ma fertile veine
Repoussant le sablon, jette une source d’eaux
D’un surgeon éternel pour vous autres ruisseaux...


Nulle part non plus il ne nous a laissé plus de renseignemens, plus particuliers ni plus confidentiels, sur lui-même, sur ses goûts, sur sa manière de vivre, sur l’emploi quotidien de son temps :


... Si l’après-dînée est plaisante et sereine,
Je m’en vais promener tantôt parmi la plaine.
Tantôt en un village, et tantôt en un bois,
Et tantôt par les lieux solitaires et cois.
J’aime fort les jardins qui sentent le sauvage ;
J’aime le flot de l’eau qui gazouille au rivage ;
Là, devisant sur l’herbe avec un mien ami,
Je me suis par les fleurs bien souvent endormi,
A l’ombrage d’un saule, ou lisant dans un livre,
J’ai cherché le moyen de me faire revivre[1].


Et nulle part, enfin, il n’a mieux caractérisé la nature de ce « beau désordre, » dont Boileau devait parler un jour dans son Art-poétique, mais sans l’entendre peut-être aussi bien que Ronsard :


En l’art de poésie, un art il ne faut pas
Tel qu’ont les prédicans, qui suivent pas à pas
Leur sermon su par cœur, et tel qu’il faut en prose,
Où toujours l’orateur suit le fil d’une chose.
Les poètes gaillards ont artifice à part ;
Ils ont un art caché qui ne semble pas art
Aux versificateurs, d’autant qu’il se promène
D’une libre contrainte où la Muse le mène.


Remontrance au peuple de France.

Cette pièce, comme la précédente, est datée de 1563. Il en faut rapprocher une autre pièce :

  1. L’intérêt de ces renseignemens n’a pas échappé à la perspicacité de Sainte-Beuve, qui en a tiré parti dans la Vie de Ronsard qu’il a mise en tête de son Choix de Poésies de Ronsard. En y joignant l’Elégie XX, on aura le sommaire d’une biographie du poète par lui-même.