Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 159.djvu/368

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les mêmes difficultés s’y rencontrent à concilier des principes opposés, les mêmes procédés de règne s’y imposent.

Or, Madagascar était, depuis le début du siècle, en proie à une lutte soutenue entre les nobles (andriana) et les bourgeois (hovas) : expropriés une première fois des fonctions publiques en 1828, à la suite d’une révolution de palais, ayant fait un vain effort pour se ressaisir de l’exécutif trente-trois ans plus tard, les nobles s’étaient retirés dans leurs fiefs après la décision prise par leurs adversaires de ne plus appeler au trône que des femmes qui seraient tenues d’épouser un premier ministre choisi dans la caste hova. Trois règnes s’écoulèrent ainsi, sans que les andriana eussent réussi à reprendre faveur, lorsque, la vieillesse de notre grand adversaire Rainilaiarivony aidant, ils parvinrent, depuis 1891, à s’insinuer auprès de la reine Ranavalo et à se faire attribuer peu à peu un assez grand nombre d’emplois. La considération, au moins extérieure, dont le général Duchesne d’abord et M. Laroche ensuite entourèrent celle-ci fit espérer au parti noble qu’il parviendrait à recouvrer ses anciens privilèges et à se débarrasser de la concurrence des bourgeois. Il affectait, par mainte délation, de représenter les hovas comme hostiles à l’influence française, sous le prétexte qu’ils avaient hérité des traditions et des haines de Rainilaiarivony[1]. En réalité, il nous restait foncièrement adverse, et, par le crédit dont il disposait dans les provinces, il était, avec la fourberie de sa race, l’âme même de la révolte.

Dans ce dernier rôle, il disposait de la complicité de la reine, qui se considérait comme le chef des nobles, et qui, — on ne le sut qu’à la fin de 1896, — était en communications presque constantes avec les insurgés, cachant aux autorités françaises les rapports qu’elle recevait sur les mouvemens en préparation, laissant circuler dans les régions troublées des papiers revêtus du sceau royal, et entretenant dans son entourage immédiat des sentimens à peine déguisés d’animosité. Ranavalo ne donnait pas précisément l’impulsion au mécontentement, mais elle et ses confidens laissaient clairement entendre aux meneurs qu’ils le voyaient avec satisfaction se manifester sous la forme violente

  1. Rasanjy, ancien collaborateur de ce dernier, que M. Ranchot avait fait nommer secrétaire général du gouvernement malgache en octobre 1895, et que le général Gallieni a placé et maintenu depuis à la tête des services indigènes, fut particulièrement l’objet de leurs dénonciations. On alla jusqu’à fabriquer des faux pour l’impliquer dans un prétendu complot contre la France.