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pas empêché la naissance et le développement de l’insurrection en fournissant dès le début à la domination française un point d’appui moral qui lui avait presque totalement manqué[1]. Seuls des vieillards et des infirmes, incapables de subvenir à leurs besoins et désormais privés des secours que leurs maîtres étaient tenus de leur fournir, se plaignirent et durent être assistés par l’administration ; de même, il fallut recueillir un assez grand nombre d’enfans en bas âge. Pour les maîtres, leur esprit avisé et calculateur eut bientôt fait d’inventer un moyen de ne point trop souffrir dans leurs intérêts : avec de légers salaires, parfois même avec la simple promesse de leur fournir logement, nourriture et vêtement, ils retinrent à leur service la majeure partie de leurs anciens esclaves.

L’arrêté d’émancipation contenait cependant une grave lacune : contrairement aux instructions ministérielles, il n’édictait aucune règle sur le libre contrat de travail, d’où une instabilité redoutable pour les colons en quête de main-d’œuvre et qui, embauchant un jour des ouvriers agricoles ou autres, les voyaient disparaître subitement quelques semaines plus tard, sans qu’aucun moyen légal s’offrît à eux pour assurer la marche des travaux en cours. L’arrêté ne prévoyait non plus aucune répression du vagabondage, et comme, au début tout au moins, de nombreux affranchis se montraient plus soucieux de jouir de leur récente liberté que de se pourvoir d’un gagne-pain, une masse flottante se constitua, qui formait une réserve de recrutement tout indiquée pour le brigandage ou l’insurrection, suivant les cas.

Le général Gallieni eut à se préoccuper de la question : sur l’avis d’une commission spéciale, il prit, à la date du 2 janvier 1897, des dispositions complémentaires obligeant tous les habitans de l’île à justifier de moyens d’existence réguliers, et, sous peine d’emprisonnement d’abord, puis de travail forcé sur les chantiers de l’Etat, à ne pas rompre pour plus de cinq jours les contrats de travail qu’ils auraient passés avec des particuliers. Ces mesures rigoureuses de répression, imposées par l’absence même de procédés préventifs auxquels la politique improvisée par la Chambre avait empêché d’avoir recours, furent approuvées par celle-ci[2].

  1. Rapport du colonel Bouguié, gouverneur de Tananarive, 18 novembre 1896. Chez les Sakalaves, où le commerce des esclaves était fort actif, l’excitation fut, au contraire, assez grande et joua un rôle important dans les troubles que les troupes françaises eurent à réprimer par la suite.
  2. Question de M. Deville ; séance du 23 mars 1897.