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pudique indignation, demeure d’ailleurs sans écho. L’opinion commune est qu’il va vaincre au profit de la République et la revivifier. L’effet de son retour est même de réconcilier beaucoup de Français avec ce régime, en leur persuadant que la République, triomphant au dehors par la main d’un grand homme, pourra s’assagir et se fixer au dedans, procurer enfin le soulagement des peuples et tenir ses promesses. À ces gens qui ont cru naguère à la Révolution, qui ont été déçus par elle, qui souffrent cruellement de ses sévices, qui l’exècrent dans ses représentans actuels, il semble un instant que l’ancien idéal, obscurci, voilé, souillé, se découvre à nouveau et resplendisse, s’incarnant en un homme.

Les contre-révolutionnaires endurcis le sentent bien et comprennent qu’un grand obstacle se dresse en travers de leur voie. Les plus contens sont les républicains sincères, exaltés, ceux qui le sont restés ou qui le sont redevenus ; ils n’ont pas appris encore à séparer Bonaparte de la République telle qu’ils la rêvent, saine, virile et fière. L’un des meilleurs, Baudin des Ardennes, apprend la nouvelle le 21 au soir, chez Siéyès, au Luxembourg ; il sort fou de bonheur, presque hors de sens. Le lendemain matin, il mourut ; le bruit se répandit qu’il était mort de joie. Aux Cinq-Cents, quand on lit le message, les membres de l’assemblée, jacobins ou modérés, tous révolutionnaires, se lèvent électrisés et « agitent leurs toques » aux cris répétés de : « Vive la République ! » Peu de jours après, ils éliront Lucien pour président. Tous les rapports constatent la renaissance de l’esprit public, c’est-à-dire, en langage officiel de l’époque, un renouveau de foi en la Révolution et en ses destinées. Au théâtre, où les airs patriotiques, joués par ordre, étaient écoutés depuis longtemps avec indifférence et ennui, on les applaudit maintenant, on les fait répéter. La première représentation d’une pièce de Legouvé, la tragédie d’Etéocle et Polynice, tout imprégnée de républicanisme classique, suscite un vif enthousiasme.

Les armées n’interprètent pas le retour autrement que les républicains civils ; c’est pourquoi elles exultent. L’armée d’Italie apprend la nouvelle aux ennemis par des hourras, des acclamations prolongées, s’élevant de nos cantonnemens. A l’armée d’Helvétie, sur le Rhin à sa naissance et profondément encaissé, un dialogue significatif s’engage d’une rive à l’autre entre une sentinelle française et une sentinelle autrichienne : L’Autrichien : Eh bien ! Français, votre roi est donc arrivé ? — Le Français : Nous