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les fatigues, les perplexités, les hasards, les déboires, les douleurs du commandement suprême, n’ait poussé vers le Seigneur la plainte de Moïse ? Napoléon III en était là, après dix ans de pouvoir. « Par momens, avait-il dit à l’un de mes amis, il me semble que j’ai un siècle. » Il commençait à sentir pesant de porter seul le fardeau d’un peuple.

Il ne s’y croyait plus obligé. La révolution extérieure et intérieure, qu’il s’était donné pour mission de poursuivre et d’imposer par la dictature, était réalisée dans l’essentiel ; et il laissait au temps d’en terminer l’achèvement. Il n’avait donc plus aucune raison de n’être pas libéral et de refuser à la nation une part plus active à la gestion de ses affaires. Il sentait qu’à la longue ce serait un spectacle ridicule, sinon odieux, qu’une France privée des libertés conquises par elle, au prix de son sang, aux Roumains et aux Italiens. Voilà, indépendamment de son goût naturel de philosophe pour la liberté, ce qui lui fit supporter sans déplaisir les tentatives d’affranchissement du Corps législatif. Il ne rebuta point Morny, lorsque celui-ci le pria de leur accorder satisfaction. Il écouta non moins favorablement Walewski, qui, certain que la Chambre, si on lui rendait plus d’autorité, arrêterait les faiblesses impériales envers l’Italie, proposa le rétablissement de l’Adresse parlementaire de la monarchie de Juillet.

Le 22 novembre 1860, à quatre heures, l’Empereur réunit aux Tuileries le Conseil des ministres et le Conseil privé et leur annonça son intention d’élargir les prérogatives du Corps législatif ; ses débats seraient intégralement reproduits ; chaque année, il serait admis à donner son avis dans la discussion d’une Adresse sur la politique générale ; des ministres sans portefeuille seraient adjoints aux conseillers d’Etat pour expliquer et défendre les idées et la conduite de son gouvernement.

Morny se montra satisfait de ces concessions libérales, mais il eût voulu qu’on leur donnât une forme plus heureuse que la discussion de l’adresse, une des plus mauvaises pratiques, à son avis, du gouvernement parlementaire de Louis-Philippe. Billault, Rouher, Baroche et Fould trouvèrent qu’on allait trop loin ; Walewski, au contraire, appuya fort, et Chasseloup-Laubat de même.

On s’occupa alors du remaniement ministériel. Fould avait, dans ses attributions de ministre d’État, la Maison de l’Empereur. Il l’avait organisée avec régularité et l’administrait avec une sévère