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ne lui disputait plus. « Il nous tient tous dans la main, » disait le roi de Suède au général Castelnau, envoyé en mission auprès de lui. — Palmerston avouait son admiration pour celui qui avait soumis à son ascendant l’Europe entière. « Nous éprouvons nous-mêmes cette domination, disait-il, car non seulement nous n’osons entreprendre aucune chose, mais même porter avec sûreté un jugement sur aucune, si nous ne connaissons d’abord la volonté et la pensée de l’Empereur ; et dire qu’un tel homme a vécu aussi longtemps à Londres, jouant au club, et que personne de nous ne s’est aperçu qu’il eût de l’esprit ou quelque autre qualité extraordinaire ! »

De quelque côté qu’il regardât, l’Empereur n’entrevoyait pas de cause de guerre. L’amitié avec la Russie était sans nuage et les dissentimens avec l’Angleterre sans menace. En Italie, il avait dit son dernier mot sur Venise et sur Rome : il ne soutiendrait pas une agression de l’Italie contre l’Autriche, et il s’opposerait à celle sur Rome. L’Allemagne était malveillante, mais impuissante. Lui seul pouvait créer une cause de guerre en essayant de prendre la Belgique ou le Rhin, ou en préparant une descente en Angleterre. S’il avait nourri cette arrière-pensée, il eût certainement bravé les résistances du Corps législatif à une réorganisation dispendieuse de l’armée. Mais moins que jamais il pensait à des agrandissemens ou à des agressions. Il exprimait le fond même de sa pensée dans son discours au Corps législatif : « Je veux sincèrement la paix et ne négligerai rien pour la maintenir. La France ne menace personne ; elle désire développer en paix, dans la plénitude de son indépendance, les ressources immenses que le ciel lui a données, et elle ne saurait éveiller d’ombrageuses susceptibilités, puisque de l’état de civilisation où nous sommes ressort, de jour en jour plus éclatante, cette vérité qui console et rassure l’humanité, c’est que, plus un pays est riche et prospère, plus il contribue à la richesse et à la prospérité des autres. » Persigny, d’accord cette fois avec son maître, disait aussi : « Dans l’état actuel des sciences militaires, un fleuve comme le Rhin n’est pas une frontière stratégique. Ce n’est donc pas pour un avantage illusoire que la France irait s’exposer à une nouvelle guerre européenne. Pour ce qui est de l’Angleterre, j’ai toujours été étonné que des hommes de quelque autorité aient paru donner crédit à une attaque de notre part[1]. »

  1. Au Conseil général de la Loire, 21 août 1860.