Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 159.djvu/240

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

partie en quelque sorte didactique de cette courageuse harangue, quelle est, au point de vue politique, la position que l’orateur a prise ? M. Méline a fort bien vu que le mécontentement augmente chaque jour dans le pays. Pendant que les comités radicaux envoient des adresses de félicitations au ministère, l’opinion, qui s’est trop longtemps laissé mener ou dominer par eux, commence à secouer un joug devenu trop pesant. Elle reprend sa liberté et sa spontanéité. Il y a là un mouvement d’émancipation qui ne peut pas s’accomplir tout entier en un jour, mais qui se développe et s’accentue non sans rapidité. On sent, pour ainsi dire, que quelque chose est en voie de muer. C’est là un phénomène si évident qu’il faudrait être aveugle pour le nier, et si grave qu’il faudrait être bien léger pour ne pas s’en préoccuper.

M. Méline s’en préoccupe. Il voit grandir, non sans inquiétude, ce qu’on appelle, d’un très beau mot, le nationalisme ; mais ce mot couvre des choses très diverses, et qui, assurément, ne peuvent pas être acceptées en bloc par un homme politique, du moins s’il est républicain. A travers le nationalisme, M. Méline aperçoit et dénonce un péril, le césarisme ; le césarisme qui, dans notre pays, a toujours été le produit du jacobinisme, et qui a trouvé d’autant plus de facilité à s’y établir que le jacobinisme lui avait préparé et, en quelque sorte, adapté le terrain par la suppression des libertés publiques et par l’habitude donnée aux esprits de se jouer de la loi. Il y a donc actuellement un double danger, celui d’aujourd’hui et celui de demain ; et le premier doit presque inévitablement enfanter le second, si on ne se hâte d’y pourvoir. Il faut, pour cela, commencer par se rendre compte de ce que contient de légitime le mécontentement d’une grande partie de l’opinion. Il n’y a là rien de légitime, disent les ministériels, absolument rien ! tout est au mieux sous le meilleur des ministères possibles ! Cette manière de raisonnera déjà enfanté chez nous plus d’une révolution. L’art de la politique consiste à reconnaître ce qu’il y a de juste et de fondé dans les réclamations du pays et à y satisfaire. Le mouvement qui commence à se dessiner, et même avec quelque impétuosité, sera néfaste, s’il tourne au nationalisme césarien : il peut être heureux, au contraire, rénovateur au lieu de devenir destructeur, si un parti politique se montre assez intelligent pour le comprendre, en démêler les élémens complexes, et assez ferme pour l’empêcher de s’égarer. M. Méline essaye de le faire. Il ne nie pas le mal, il le constate, il le définit, et c’est en cela que ses adversaires de mauvaise foi l’accusent de faire cause commune avec