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de leur art ; de même, l’existence des carrières de marbre coloré, près de Vérone, et de marbre blanc et de serpentine verte, entre Pise et Gênes, a influencé toute l’architecture gothique dans le nord de l’Italie, comme l’argile de la terre d’Iran est la cause première des admirables terres cuites des monumens de Susiane. Le quid quæque ferat regio et quid quæque recuset de Virgile était un adage aussi juste en architecture qu’en agronomie. Aujourd’hui, il est bien vieilli. Déjà, avant le fer, le toit avait perdu son caractère indicatif du climat. Dans toutes les villes modernes de toutes les régions du globe, il se réduit et s’égalise selon la coupe uniforme du brisis. Et surtout le mur ne naît plus de la terre, ne reproduit plus les carrières de sa région, du jour où le fer, qui est quasi le même partout, l’a remplacé.

Plus puissant que le tailleur de pierre sur ce point, le manieur de fer l’est encore sur d’autres. La lutte entre la pesanteur et la résistance, qui constitue, comme l’a très bien vu Schopenhauer, l’intérêt esthétique de la belle architecture, n’est pour lui qu’un jeu. Seulement, s’il est vrai que la tâche de l’artiste soit de faire ressortir cette lutte d’une manière complexe et parfaitement claire, plus le jeu est facile pour lui, et plus l’expression d’un effort qu’il ne fait pas lui est malaisée. Le fer remplit la même fonction que la pierre, mais il ne montre pas aux yeux qu’il la remplit. Pour qu’on l’aperçoive, pour qu’on distingue où porte l’effort, l’architecte est obligé d’exagérer, artificiellement et sans nécessité, les dimensions. Il faut qu’il renfle le dessin de sa ferme là où elle a le principal poids visible à soutenir, et qu’il marque, par quelque ornement voulu, le point où se trouve la rotule. Mais ni ce renflement, ni cet ornement ne sont indiqués par le fer, comme l’importance et l’ornementation de la clef de voûte, par exemple, l’étaient par la pierre. L’architecte les choisit à sa guise. Le fer ne lui dicte rien, parce qu’il n’oblige par lui-même à aucun style particulier de construction. Il peut les reproduire tous et il n’en produit spécialement aucun. Il a le défaut des esprits assimilateurs à l’excès : il n’est pas créateur. C’est le Protée des matériaux. Admirable pour supporter quelque chose d’autre, il ne se manifeste point aux yeux par lui-même. Et, pour tout dire en un mot, le fer, dans l’art, est comme l’argent dans la vie : un bon serviteur, mais un mauvais maître.

Et pourquoi le fer n’a-t-il pas de caractères esthétiques à lui ? Pourquoi n’a-t-il pas de nature ? Nous touchons à la raison et à