Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 159.djvu/199

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais quelle est donc cette nature qu’on affirme qu’il faut respecter et quel est cet enseignement qu’on prétend qu’il faut suivre ? Il est bientôt dit que le fer ne doit pas imiter la pierre, mais ce qu’on devrait nous indiquer, c’est ce qu’il nous apporte au point de vue des formes, qui ne soit contenu dans la pierre et qu’elle ne signifie pas mieux que lui ? Il est bientôt dit qu’il faut accepter franchement les formes nouvelles qu’il suggère, mais ce qu’on ne nous dit pas, c’est ce qu’il suggère de formes nouvelles, car nous avons bien vu ce que le fer supprime d’une construction mais non ce qu’il y apporte ; et enfin, c’est une opinion à laquelle nous souscrivons volontiers, que, pour dégager sa beauté, il faut laisser agir librement sa nature, mais, encore un coup, que fait sa nature, quand on la laisse agir librement ?

Or, il le faut avouer : elle ne fait rien, car le fer n’a pas de nature, ou plutôt sa caractéristique même, ou, si l’on veut, sa nature, c’est précisément de n’en point avoir. Oh ! ce n’est point qu’il oppose à l’artiste plus d’obstacles que la pierre ! C’est précisément l’inverse ! Avec le fer, l’artiste modèle son monument sur la forme qu’il veut, car le plus résistant des matériaux est aussi le plus souple. Il peut bâtir un hall avec plus de colonnes qu’une forêt n’a de fûts, une basilique avec autant de coupoles qu’une framboise a de graines, et Zara ou Sainte-Sophie ne sont qu’un jeu pour lui. Sous ses doigts, le fer se tresse comme, sous les doigts du vannier, la paille. Quand on voit les charpentes des maisons métalliques, on songe aux lento... alvearia vimine texta, que décrit le poète. Et, en effet, ce sont bien des ruches et des corbeilles renversées qui semblent posées sur les bords de la Seine, dans les palais de l’horticulture et de l’arboriculture, des nasses d’osier tirées hors de l’eau sur les bords du fleuve, où elles paraissent guetter quelques poissons monstrueux.

Le fer peut se prêter à plus de fantaisies encore. Avec lui et avec les autres progrès qu’il rend possibles, n’importe qui peut, n’importe où, bâtir n’importe quoi. Il triomphe donc de toutes les lois historiques de l’architecture et les renverse. Longtemps, l’architecture, comme la plante, naissait du sol et s’accommodait au ciel du pays où on l’avait conçue. Le ciel influait et pesait sur la forme de ses toits, pendant que, de la terre, qui en fournissait les matériaux, jaillissaient ses murs, et la nature du sol en dictait jusqu’à un certain point la forme et l’ornementation. La possession du λεῦϰος λίθος ; par les Grecs fut la première condition