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d’admirer que d’objet d’admiration ! Pour combien de raisons différentes, — et parfois contradictoires, — n’a-t-on pas en divers temps admiré toujours les mêmes génies, le même Phidias, le même Titien, le même Ruysdael, le même Rembrandt ! Et si nous oublions un instant l’accident qui nous cache cette loi, c’est-à-dire la mode, dont le double et précis caractère est d’être impérative et d’être éphémère, de s’imposer à tous et de ne s’imposer que pour peu de temps, quand le caractère du beau est, au rebours, d’être facultatif et éternel, de ne s’imposer qu’à quelques-uns, mais de s’imposer toujours, nous verrons qu’en réalité l’histoire des variations du goût n’est que l’histoire des variations de la mode et que la permanence de l’admiration des artistes pour la beauté est égale, sinon supérieure, à la permanence de l’adhésion des savans à quelque vérité.

Si les prétentions architecturales du fer choquent notre goût, il ne faut donc point dire que cela n’est rien. Ni si elles flattent nos postulats philosophiques, dire que cela est tout. Car le goût, en matière de nouveauté, ne se trompe pas toujours. Et la raison, en matière d’art, se trompe bien quelquefois.

Or, quand on admire les monumens de fer, les motifs qu’on nous en donne sont surtout de raison raisonnante. On ne dit pas : ce monument est admirable parce qu’il est beau, mais on dit : il faut de toute nécessité qu’il le soit, puisqu’il répond au temps où nous vivons et aux instincts du peuple que nous sommes, comme si toutes les fois qu’un peuple et qu’un temps avaient des besoins nouveaux, ils créaient nécessairement un beau style d’architecture pour les exprimer ? Quoi de plus nouveau, de plus puissant et de plus genuine que la jeune civilisation américaine et quoi de plus banal que ses palais, — château de Blois sur la face, Parthénon sur le revers, — qui empruntent à tous les styles et ne rendent pas en intérêt, ce qu’ils ont emprunté ?

On a voulu faire un sort, en esthétique, aux « maisons hautes » des États-Unis comme aux premiers phares dressés pour éclairer les novateurs des deux mondes. Mais à les bien considérer, les styles de ces gigantesques « accroche-nuages » ne sont que des multiplications de styles déjà fort connus et fort anciens. Ce n’est point parce que le Monadnock Building entassera treize bow-windows les uns sur les autres qu’il aura réalisé un style de bow-window nouveau, ni parce que l’Union Trust Company de Missouri portera plus haut qu’aucun monument égyptien la « gorge