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Dans l’Ouest, les gens de bon sens avaient immédiatement compris que la loi irait contre son but et grossirait le nombre des opposans actifs. Les soldats républicains le sentaient eux-mêmes ; ils disaient publiquement dans les rues d’Angers : « La nation vient de faire dix mille Chouans. » Fouché reconnaissait que la loi était un instrument dangereux, une arme à deux tranchans, propre à blesser qui le manierait ; il souhaitait quelque ménagement dans l’application et craignait les suites. En effet, les villes, les bourgs se vidèrent en un clin d’œil d’une quantité d’habitans paisibles par tempérament ou dégoûtés de la lutte ; se sentant matière propre à faire des otages, ils disparurent, s’enrôlèrent dans les bandes qui tenaient la campagne ou leur prêtèrent aide et conseil. Les Chouans se mirent de leur côté à saisir des otages, à organiser de sanguinaires représailles. L’insurrection générale existait déjà de fait, sans avoir pris encore, sur l’ordre des chefs, un caractère régulier et en quelque sorte officiel. La loi des otages l’aggrava, en lui fournissant beaucoup de recrues, en transformant de simples mécontens en rebelles, en leur donnant une audace de désespérés.

La chouannerie (déborde dès à présent de son foyer primitif, entame les départemens voisins. La Manche, l’Orne, l’Eure, la Seine-Inférieure sont atteints. Dans le pays d’Indre-et-Loire, une grosse bande terrorise les campagnes ; à Blois, les autorités pensent à se replier sur Orléans et préparent leur déménagement. Par la Saintonge et la Gascogne, la chouannerie tend à se relier aux restes de l’insurrection méridionale, à les ranimer. La Haute-Garonne et les départemens limitrophes, la région pyrénéenne, le Languedoc, n’ont recouvré qu’une tranquillité précaire. Plus loin, une véritable épidémie de brigandage couvre maintenant toute la surface des Bouches-du-Rhône, de Vaucluse, du Var et des Alpes-Maritimes. Le brigandage existe à l’état sporadique dans la presque totalité des autres départemens, car la loi appelant sous les drapeaux les conscrits de toutes classes, on multipliant par masses énormes le nombre des réfractaires, lui fournit un formidable renfort.

Cette loi ne s’exécutait qu’avec des difficultés inouïes. Après deux mois, quelques départemens avaient seuls fourni et équipé leur bataillon de conscrits. Dans des milliers de communes, les appelés refusent de partir, restent chez eux ou se cachent. La gendarmerie envoyée pour les prendre, pour installer chez leurs