Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 159.djvu/167

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leur communique une ardeur extraordinaire. « C’est un vrai Celte que ce descendant des rois d’Ossory, écrit M. Fournier d’Albe. Il tient un haut rang comme soldat et comme homme d’État ; il est adoré des Irlandais pour la défense énergique des droits de son pays ; il parle le gaélique avec ses fermiers. Bref il a tous les caractères d’un Celte. » C’en est assez sans doute pour forcer la conviction des plus sceptiques et les édifier sur la réalité de cet éveil de la race irlandaise, dont la seule pensée transporte M. Fournier d’Albe. Lord Castletown nous était apparu jusqu’ici «omme un parfait orangiste, ennemi intraitable du home-rule et l’une des colonnes du landlordisme irlandais. Si ce n’était là qu’une attitude passagère et d’attente, ou si lord Castletown a des vues personnelles et neuves sur le gouvernement de son pays par la reconstitution d’une féodalité indigène, nous le saurons prochainement. Les seuls gages qu’il ait donnés à la cause nationaliste tiennent dans un discours prononcé à Cork et où il s’éleva violemment contre l’augmentation des taxes. Mais ce discours paraît avoir eu un retentissement considérable dans toute l’Irlande. « C’est, dit M. Fournier d’Albe, comme si Angus, le dieu celte de la jeunesse et de l’amour, s’était éveillé de son long sommeil et errait dans toute l’étendue du pays, donnant une âme nouvelle au peuple. C’est comme si Finn Mac Cumhal avait tressailli en son repos et que le peuple se soit demandé si son temps n’était pas venu. »

À quelques milles de Belfast, dans une garenne perdue des Divis-Mounts, on voit un énorme rocher qui reproduit avec une netteté de médaille le profil d’un roi barbare couché sur le dos. Ses yeux sont fermés, mais non pour toujours. L’ensemble de la physionomie exprime l’assurance d’un homme satisfait de sa journée et qui s’est endormi dans la certitude d’un réveil prochain. Les Anglais appellent cette roche étrange la roche de Cave-Hill, et c’est pour eux une roche comme les autres. Mais les Irlandais, qui ont un peu tous ce « sourcil visionnaire » dont parle Dante, savent de science certaine que c’est là Finn Mac Cumhal en personne, le grand roi du Fianna au IIIe siècle de l’ère chrétienne. « Il dort maintenant, disent-ils, mais il se réveillera un jour, et une grande joie, d’un rivage à l’autre, inondera la verte Erin. »